mardi 29 janvier 2013

Guerre et Nature - Analyse du livre de Jean-Michel Valantin




La couverture et le sous-titre de cet essai (« L’Amérique se prépare à la guerre du climat ») sont trompeurs. Il ne s’agit pas d’une énième diatribe contre le cynisme environnemental américain, mais d’une analyse fine de l’évolution profonde de la pensée stratégique américaine au cours des années 2000 (et plus spécialement pendant l’ère Obama), pour prendre en compte la nouvelle donne environnementale mondiale.

Jean-Michel Valantin,  chercheur au CIRPES et spécialiste de la stratégie américaine, nous avait déjà proposé en 2003 un essai passionnant intitulé « Hollywood, le Pentagone et Washington » sur les liens imbriqués entre le cinéma et la stratégie d’influence américaine. Ici il se livre à une étude inédite des changements de la doctrine de « ce pays pris dans un étau entre la crise environnementale et la raréfaction des matières premières ».

A partir d’une revue de travaux méconnus des principaux think tanks influant sur la doctrine militaire et de sécurité intérieure, il montre qu’au-delà des apparences le Pentagone et Washington ont complètement pris conscience de la gravité des évènements extrêmes induits par le changement climatique et de la nécessité de repenser leur politique dans un monde aux ressources minérales et agricoles limitées. Pour l’auteur, la décennie 2000 aura été marquée par le passage de la national security à celui de natural security.

Pour relever ce défi, les principaux think tanks (même les plus conservateurs) ont tiré les conclusions des échecs afghans et irakiens. Ils ne recommandent plus de poursuivre la stratégie de leadership militaire des Etats-Unis pour accaparer les ressources, mais au contraire d’utiliser l’armée américaine pour venir en aide aux populations en détresse environnementale, et sécuriser ainsi l’accès des Américains aux ressources dans ces contrées « amies ». Cela est bien expliqué par exemple dans le National Security Strategy de mai 2010, document de référence qui sert de pivot à la coordination de l’ensemble des services de l’administration américaine.

L’auteur explique aussi comment l’armée américaine adopte peu à peu les énergies renouvelables pour se défaire de son extraordinaire dépendance aux énergies fossiles. Derrière cette mutation, c’est toute l’organisation énergivore de l’économie américaine qui est en ligne de mire. Les Etats-Unis, plus que tout autre pays, dépendent de façon vitale de leur approvisionnement en temps réel en pétrole et en d'autres ressources. Si la logistique est grippée (crise dans le détroit d'Ormuz par exemple), c'est l'économie du pays qui peut s'effondrer et basculer dans le chaos comme le décrit Dimitri Orlov dans Reinventing collapse ou le romancier Alex Scarrow dans La Théorie des dominos. Obama a pris la mesure de ce risque et a d'ailleurs promulgué un décret présidentiel en mars 2012 sur la National Defense Ressources preparedness dans lequel il demande un inventaire de l'ensemble des ressources nécessaires à la conduite des opérations militaires internes et externes, ainsi qu'à la survie du pays.

L’auteur revient aussi sur l’attitude américaine dans les grands sommets climatiques, notamment celui de Rio+20 où il décrypte l’intervention d’Hillary Clinton. Il y explique que les Etats-Unis refusent en général de se laisser contraindre par des traités internationaux type Kyoto, mais n'en sont pas moins actifs. Cette attitude en "solo" est néanmoins la cause de la cacophonie onusienne et a empêcher de raccrocher certains Etats majeurs (et moins convaincus du risque climatique) à un processus contraignant. 


A l’heure où le peak everything prédit par Michael Klare se profile et menace la stabilité du monde, cette nouvelle stratégie n’est certes pas pétrie d’angélisme mais elle est potentiellement porteuse d’espoir. On peut néanmoins se demander si une telle stratégie "empathique" (du moins dans l'affichage) aurait survécu à une victoire de Mitt Romney. Comme l’auteur le conclut lui-même :

Il n’est pas encore possible de savoir si le principe de coopération entre les hommes et les générations à venir, inhérent au développement durable, ou la compétition généralisée pour les ressources, l’emportera. (…) La guerre n’est pas nécessairement la seule option. La stratégie peut aussi aboutir à la coopération.

Même si les chemins pour y parvenir sont très différents, cette conclusion est finalement assez proche de celle d’Ombres et Lumières, où la question des ressources est centrale. 

On pourrait certes préférer que l'armée ne se mêle pas de la gestion des ressources naturelles, mais à l'inverse ignorer que la raréfaction des ressources  constitue un enjeu stratégique majeur serait complètement irréaliste. Le livre de Jean-Michel Valantin parvient à porter le débat écologique dans un cadre stratégique global. Une prise de conscience par les peuples, un changement radical du mode de vie dont nous sommes prisonniers et de l'état d'esprit général seront néanmoins indispensables pour s'attaquer aux enjeux uniques du XXIème siècle.

En définitive « Guerre et Nature », paru en janvier 2013, offre un point de vue nouveau sur l’évolution de la doctrine militaire d’un Etat qui pense maintenant son avenir (en mal et en bien) dans un monde dont les limites ont été atteintes (ce que l'Union Européenne a bien du mal à faire). L’ouvrage, très abordable, est truffé de références et d’anecdotes passionnantes qui raviront les passionnés de stratégie mais aussi tous ceux qui se soucient de l’avenir de notre planète. L’éditeur a également mené une réflexion sur le livre « durable » et a choisi un papier et une encre qui traverseront les siècles. Salutaire.

Aucun commentaire: