dimanche 29 juin 2014

BlackFish et Siècle bleu



J’ai grandi à Nice et l’une des mes attractions préférées comme beaucoup de gamins de la côte était d’aller l’été à Marineland, le zoo marin d’Antibes à quelques centaines de mètres de chez ma grand mère. Je me rappelle avec émotion de ces spectacles acrobatiques de dauphins et d’orques, animaux  merveilleux que je voyais pour la première fois. Je me rappelle aussi des articles de Nice-Matin qui relataient les naissances (rares), les décès (plus fréquents) et l’arrivée de nouveaux spécimens. Les articles étaient toujours assez évanescents sur les conditions de capture, mais cela avait l’air idyllique, la preuve : les animaux semblaient voyager en première classe dans les cales d’un avion gigantesque spécialement affrété.

Avec l’âge et quand j’ai commencé à m’intéresser à l’envers de cette industrie, je découvrais que les filières de capture de dauphins et orques étaient loin de ce que les parcs ou les médias locaux nous disaient. Sur le Marineland d’Antibes, le blog « Les Dauphins » a fait un travail remarquable. En particulier au début des années 2000, je découvrais le documentaire « Earthlings » et je découvrais avec horreur ces scènes des massacres de dauphins à Taiji et  du lien avec les circuits d’approvisionnement de la plupart des zoos marins du monde entier (j’ai mis l’extrait en question d’Earthlings sur mon site, avec d’ailleurs une superbe musique de Moby restée inédite). Profondément choqué, j’avais décidé que les massacres à Taiji constitueraient la scène d’ouverture de mon premier roman Siècle bleu. Ces scènes du tome 1 consacrés aux massacres de Taiji sont disponibles sur le blog « Les Dauphins » qui avait consacré un dossier sur Siècle bleu.

En 2011, je découvrais aussi le documentaire "A Fall from Freedom" qui décrit tous les circuits illégaux d'approvisionnement de SeaWorld : détournement d'embargo, faux papiers, conditions de détention transitoires exécrables... C'est juste ahurissant.


Dans le tome 2, Ombres et Lumières, j’avais donc décidé de régler mes comptes avec SeaWord (cf. ci-dessous). Comme mon personnage principal Abel avait fait ses études à San Diego, j’avais imaginé un autre personnage, Brian Button, l’un de ses amis soigneur-dresseur à SeaWorld qui l’aiderait lorsqu’Abel serait devenu ennemi public numéro 1. En effet, il y a une grande différence entre les soigneurs-dresseurs (qui s’efforcent en général de faire supporter le plus possible la captivité aux animaux) et la direction du parc qui cache allégrement la vérité à ses employés, notamment sur le passé des animaux qu’ils côtoient dans leur bassin… C’est très dangereux mais c’est une réalité qui a parfois des conséquences tragiques, comme celle de la mort de la dresseuse Dawn Brancheau à SeaWorld Florida en février 2010 ou d’Alexis Martinez à Loro Parque aux Canaries.

Ce soir Arte diffusait pour la première fois en France le documentaire « BlackFish » qui relate ces évènements et qui a été de multiples fois primé. Vous pouvez encore le visionner pendant 7 jours  sur Arte+7. Je ne l’avais pas encore vu et je l’ai trouvé exceptionnel. On y apprend que Tillikum, l’orque qui a dévoré Dawn Brancheau, avait déjà tué un dresseur dans un autre parc (SeaLand) dans lequel il avait été « élevé » dans des conditions atroces. Les dresseurs de Sea Word Florida l’ignoraient totalement mais savaient que cet orque ne se comportait pas normalement. Je ne vous en dis pas plus, regardez ce documentaire qui a causé un mal fou à SeaWorld et qui permettra peut-être de ne plus avoir d’orques dans les zoos marins.

Comme j’ai récemment repris les droits de mes livres, voici l’un des passages qui se passe à SeaWorld dans Ombres et Lumières (et qui ne trahit pas l’intrigue). Cela n'aura pas eu le même impact que BlackFish, mais c'est ma petite pierre pour détruire l'édifice.

Jour 5, SeaWorld, San Diego, Californie, États-Unis.

Dans le grand bassin qui leur était réservé, les dauphins jouaient. Les gradins étaient vides. Seuls deux hommes, assis à l’ombre, s’obstinaient à rester là. Ils ne comprenaient rien au manège auquel ils assistaient. Le show quotidien était terminé et pourtant, sous l’eau, le spectacle continuait. Les dauphins effectuaient encore des acrobaties. Ils créaient des cercles de bulles, qu’ils maniaient comme des cerceaux selon des chorégraphies sans cesse renouvelées. Brian Button, leur soigneur-dresseur, participait comme chaque jour à ce ballet aquatique. Depuis plusieurs heures, il avait oublié qu’il était un humain. Ses collègues de SeaWorld l’appelaient « Homo delphinus ». C’était le personnage le plus curieux que les deux agents du FBI aient eu à surveiller de toute leur carrière.
Brian Button était né à San Diego. Du jour où ses parents l’avaient emmené à SeaWorld, une relation très particulière s’était nouée entre les dauphins et lui. Il ne se sentait bien qu’à leur contact. Adolescent, il avait fréquenté le parc aussi souvent qu’il le pouvait et s’était mis à lire tout ce qui existait sur l’anatomie, le comportement et le dressage de ces animaux splendides. Il avait également commencé à pratiquer la natation, l’apnée et le yoga. Remarqué par les dresseurs, il avait effectué des stages à SeaWorld durant toutes ses vacances scolaires, et s’était efforcé chaque fois de rendre les conditions de captivité des dauphins aussi heureuses que possible. Parallèlement, il avait développé un intérêt plus général pour l’océan et effectué de brillantes études à l’institut d’océanographie Scripps, voisin de SeaWorld. C’est là-bas qu’il avait fait la rencontre d’Abel.
Pendant cette période, Brian avait poursuivi ses stages à SeaWorld et s’était lié particulièrement à Daisy, une jeune femelle dauphin qui venait d’arriver du Japon. D’une beauté rare et dotée d’une intelligence hors du commun, Daisy était devenue très vite la favorite des spectateurs. Mais elle avait une faiblesse : elle pouvait devenir folle lorsqu’elle apercevait la couleur rouge.
Ce fut Abel qui orienta Brian vers le secret de Daisy. Il lui parla des massacres, peu connus du public à cette époque, perpétrés à Taiji au Japon. À Taiji, la plupart des cétacés capturés étaient abattus pour leur viande, et les plus beaux spécimens préservés pour les delphinariums. Ceux-là constituaient de loin la part la plus profitable du commerce : un dauphin pouvait se vendre plusieurs centaines de milliers de dollars, une orque plusieurs millions. Selon des témoignages recueillis par Abel, ce marché était tenu en partie par les yakusas, qui figuraient parmi les syndicats du crime les plus puissants de la planète. Vu sous cet angle, on comprenait mieux l’obstination de certains Japonais haut placés à maintenir ce rituel sanguinaire.
Brian, qui ne s’était jamais intéressé à l’aspect marchand de son métier, s’était renseigné à son tour. Le parc faisait en effet appel à un mystérieux intermédiaire qui se procurait les dauphins au Japon, mais aussi aux îles Salomon. Après vérifications, Daisy venait bien de Taiji. Elle avait dû nager de longues heures dans le sang de ses parents et de sa horde, avant d’être acheminée vers SeaWorld. Sur la base de ce diagnostic, Brian avait conçu une thérapie et il était quasiment parvenu à libérer l’animal de sa phobie.
Lorsqu’il avait appris qu’Abel était à la tête de Gaïa, il n’avait pas été surpris. Il avait deviné aussitôt que son ami était victime d’une machination. Cette histoire de bombe était rocambolesque ! Il ne voyait cependant pas ce qu’il pouvait faire pour l’aider, d’autant plus qu’on le suivait depuis maintenant plusieurs jours. Se sentant inutile et découragé, Brian s’était réfugié avec ses dauphins, loin de toute cette violence.
Daisy était sa vie. À la fin de ses études, il aurait pu se lancer dans une carrière d’océanographe, et observer des dauphins en liberté, mais il avait opté pour un simple poste de soigneur-dresseur à SeaWorld. Le salaire proposé était très modeste, et le directeur du parc s’était senti gêné vis-à-vis de lui. Le jeune homme lui avait répondu qu’il n’avait besoin que d’une seule chose : s’occuper de Daisy.
Le directeur lui avait alors confié la responsabilité du bassin des dauphins, mais aussi de leurs numéros. C’était la partie la plus ingrate de son travail. Depuis leur création, Les parcs SeaWorld se présentaient non pas comme des instituts océanographiques, mais comme des parcs d’attractions où les animaux exécutaient des tours loufoques pour distraire les spectateurs. Peu de gens le savaient, mais SeaWorld avait été fondé par le plus grand fabricant de bières américain. Chaque jour, Brian devait donc enfiler un costume cousu de plumes multicolores et effectuer des cascades, pendu à des filins, tandis que des perroquets volaient autour de lui. La chorégraphie voulait symboliser la communion entre le monde de l’eau et celui de l’air. Blue Horizons, le show imaginé quelques années auparavant par des spécialistes de Broadway, était un condensé de tous les clichés. Les dauphins n’y occupaient plus qu’un rôle marginal et grotesque.
Brian avait envisagé de quitter le parc, mais il n’avait jamais pu se décider à abandonner Daisy. À chaque représentation, pendant l’heure que durait le calvaire, il faisait donc corps avec les dauphins. Seule comptait pour lui la séance de nage libre qui suivrait le spectacle. La nouvelle équipe de direction, nommée par un fonds d’investissement, ne lui avait pas encore ôté ce privilège. Pendant ces heures merveilleuses, son corps ondulait avec ceux des dauphins et il pouvait effectuer ses « recherches ». À contre-pied de la communauté scientifique, il avait fait siennes les paroles du plongeur Jacques Mayol, dont la vie avait inspiré le film Le Grand Bleu :

Presque tous les « chercheurs », hélas, sont obnubilés par les chiffres, les codes, les symboles. Conséquemment, pour eux, une communication entre les membres d’une espèce ou ceux d’espèces diverses, ne peut être basée que sur un système, un code, un « langage ». Ils n’ont pas encore compris – et cela dit sans vouloir faire de la poésie – que le langage le plus expressif est celui du regard et du cœur, et que la pensée pure qui est incommensurable, peut être transmise sans le véhicule grossier, élémentaire, et mal-pratique du vocabulaire.

Brian avait donc décidé de ne rien apprendre aux dauphins mais, au contraire, de pénétrer dans leur monde. Ils communiquaient par le langage du corps et par le chant. Avec Daisy, il était même allé encore plus loin, en élaborant un mode de communication proche de la télépathie. On disait de ces deux-là qu’ils étaient en lien permanent, et que le dresseur pouvait faire exécuter au dauphin tout ce qu’il voulait. Brian, cependant, demeurait très discret sur la nature de ses expérimentations, qui auraient intéressé au plus haut point les militaires américains. Abel était l’un des rares à en connaître la teneur.

jeudi 19 juin 2014

Le nouvel art des Co + nouvelle exclusive de Jean-Pierre Goux



Aujourd’hui paraît l’ouvrage collectif « Le nouvel art des Co » auquel j’ai été invité à participer. Il est publié par l’équipe de l’excellente revue Décisions Durables


Cet ouvrage explique en des mots simples tous les concepts de l’économie collaborative : covoiturage, coworking, crowdfunding, crowdsourcing, habitat coopératif, fablab… Au-delà des explications vivantes et didactiques, le livre propose aussi mêler à la description de ce que pourrait ce futur souhaitable des fictions littéraires. Huit nouvelles inédites accompagnent donc cet essai dont une de votre serviteur. Elle est intitulée : « Les Gardiens de l’Encyclopédie ».

C’est la première fois que j’écris une nouvelle et l’exercice m’a beaucoup intéressé, même si d’habitude j’ai plutôt besoin de 500 pages pour développer mes idées et mes intrigues !  Sans vous en dévoiler l’intrigue, la nouvelle parle de Wikipedia, de hacking, d’intelligence artificielle et de trading à haute-fréquence (je l’ai écrite l’an dernier, bien avant la sortie de l’excellent livre Flashboys de Michael Lewis qui a conduit à un immense débat populaire aux Etats-Unis sur ce thème).

J’ai l’honneur de partager cet ouvrage collectif avec des piliers de l’économie collaborative qui se sont aussi laissé au jeu de la nouvelle : trois membres du réseau OuiShare : Benjamin Tincq (le co-fondateur de OuiShare), Arthur de Grave et Diana Filippova, ainsi qu’Etienne Hayem (le créateur de Symba, la future monnaie complémentaire d’île de France) et Loïc Fel, co-fondateur de l’association COAL (Coalition pour l’art et le développement durable).

(*) OuiShare est une communauté internationale rassemblant les citoyens, acteurs publics et entreprises oeuvrant pour la transition vers un système économique et social plus juste et plus durable, basé sur le partage, l’ouverture et la collaboration. Ils ont organisé début mai à Paris le OuiShare Fest qui fut un grand succès.