mardi 23 février 2010

Il est urgent de ne rien faire

Dans le post "Les économistes ont-ils perdu le bon sens ?", je rappelais qu'il restait quelques économistes sensés et qui appellent encore un chat un chat. Ivar Ekeland est de ceux-là. Professeur émérite à Dauphine (dont il fut le président de 89 à 94), il est mathématicien de formation, spécialiste du calcul variationnel (j'avais étudié il y a 15 ans le fameux principe variationnel d'Ekeland en DEA). Mais il s'est toujours lui aussi intéressé aux applications des mathématiques à l'économie. Depuis plusieurs années, Ivar Ekeland signe la chronique "Economie" de la revue Pour la Science, dans laquelle il avait pour habitude de nous faire découvrir des aspects amusants, contemporains et peu connus de la théorie économique. Or, on sent que l'envie de nous parler de choses futiles (mais pas inutiles) lui est passée.

Depuis le début de la crise financière mi-2008, le ton de ses articles, pour mon plus grand plaisir, s'est radicalisé. Chaque mois, il va un peu plus loin dans la dénonciation des abus du système bancaire et ce mois-ci c'est sur les conséquences stupéfiantes de l'échec de Copenhague qu'il revient. Il nous explique que certaines de nos élites, plutôt que d'assumer ce camouflet et d'en tirer les conséquences en terme de gouvernance mondiale pour permettre à l'humanité de traiter des problèmes à grande échelle (et entre l'eau, l'énergie, la biodiversité, la famine, la lutte anti-criminalité... il y en aura des tas à traiter au vingt-et-unième), et bien préfèrent jeter le bébé avec l'eau du bain. C'est vrai que le travail à accomplir pour repenser un accord ambitieux, mais surtout un processus de négociation qui permette d'y parvenir, est pharaonique.

Il est temps que les politiques fassent preuve de courage, reprennent les choses en main et que l'on s'attaque vraiment à résoudre maintenant les problèmes de l'humanité. Ou alors faudra-t-il attendre l'occurrence d'une première catastrophe ?


L'échec de Copenhague

Il y a toujours une bonne raison pour ne pas agir...

Ivar EKELAND - Pour la Science - Mars 2010


Après l'échec, le dénigrement. Le sommet de Copenhague vient à peine de s'achever que l'on entend dire que le réchauffement climatique est très exagéré, et que tout compte fait mieux vaut qu'il n'y ait pas eu d'accord. Pascal disait qu'il est plus facile de trouver des moines que des raisons, et ce ne sont pas les moines qui manquent. Il y a l'illuminé, qui dit que Dieu ne laisserait pas faire une chose pareille, le rationaliste, qui met en garde contre les prophéties annonçant la fin du monde, l'ingénieur, pour lequel ce problème, comme tous les autres, aura une solution technologique, l'inquisiteur, qui crie au complot des savants et surveille leur correspondance, et tous ceux qui prennent le train en marche. Ce n'est qu'un cri : on nous a inquiétés plus que de raison, le pire est loin d'être sûr, et il est urgent de ne rien faire.

Que les prévisions soient très incertaines, et les possibilités d'erreur considérables, personne ne le nie. Le rapport Stern lui-même dit qu'avec une probabilité d'environ 90 pour cent, si l'on reste dans le scénario business as usual, la perte de PNB pour l'économie mondiale se situera entre 2 pour cent et 35 pour cent : la marge est assez grande pour abriter tout le monde, les sceptiques, qui pensent que ce sera plutôt 2 pour cent, et les inquiets, qui tablent sur 35 pour cent. La vraie question est donc celle-ci : quelle est l'attitude rationnelle devant une incertitude de cet ordre ?

Pour répondre, il nous faut remonter aux sources de la théorie économique, et plus précisément au paradoxe de Saint-Pétersbourg, ainsi nommé parce qu'il fit l'objet en 1738 d'une communication de Daniel Bernoulli à l'Académie de cette ville.

(...)

Bref, en situation de risque, l'être humain regarde d'abord ce qui peut mal se passer, même si la probabilité en est très faible. Si donc l'humanité était un seul individu, elle chercherait à se prémunir contre le réchauffement climatique, et le doute ne la rassurerai guère. Mais le problème neuf milliards d'individus, dont la plupart ne seront plus de ce monde quand les doutes serons levés. On peut donc appliquer ce que Julien Gracq appelle le frein à toute épreuve de la procédure ordinaire, en murmurant tout bas : "Après moi, le déluge".

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