lundi 14 juillet 2014

La frénésie des énergies fossiles


Un petit livre intéressant vient de paraître aux excellentes éditions « Les Liens qui Libèrent » : L’effondrement de la civilisation occidentale. Sous ce titre alarmiste, se cache un livre très intelligent écrit par Naomi Oreskes (historienne des sciences à Harvard) et Erik Conway (historien à la NASA, spécialiste des interactions entre politique nationale et recherche scientifique). En 2012, ils avaient publié aux éditions du Pommier un excellent essai « Les Marchands de doute » sur les fameux lobbys qui viennent troubler le débat scientifique sur des questions scientifiques clés : le tabac, le DDT, les pesticides, les OGMs.... 
Cette fois-ci, ils nous livrent une fiction (une chronique dira-t-on). Ils se placent en 2393 et ils nous racontent l’effondrement de la société occidentale au XXIè liée à la non-gestion de la crise climatique. Pour eux, en tant qu’historiens du futur, le paradoxe est que nous savions et que nous n’avions rien fait. Ils jugent que les scientifiques sont trop mous et qu’ils ont obnubilés par le fait d’éviter à tout prix une erreur statistique de type I (celle où l’on prédit qu’un phénomène est vrai alors qu’il est faux) au risque de réaliser des erreurs statistiques de type II (celle où l’on prédit qu’un phénomène est faux alors qu’il est vrai). Sur l’inaction, c’est clairement l’action du lobby des énergies fossiles qui a conduit à des actions complètement irrationnelles. Le positivisme et le dogme du tout marché ont aussi joué sur la non-réaction.
Un chapitre particulièrement intéressant est intitulé « la frénésie des énergies fossiles ». Un seul chiffre : entre 1992 et 2012, les émissions de CO2 ont augmenté de 38% (alors que les pays signataires du protocole de Kyoto s’étaient engagés à réduire de 5% leurs émissions sur cette période). Et voilà aussi l'extrait sur les gaz de schiste, épiphénomène dans l'histoire géologique de la Terre mais potentiellement dévastateur pour l'humanité s'il mettait un terme aux efforts de réduction des émissions de CO2...

Comment ces pays prospères – riches en ressources qui auraient permis une transition en bon ordre vers une infrastructure à zéro carbone net – justifiaient-ils l’expansion meurtrière de la production de combustibles fossiles ? Ils stimulaient sûrement la montée du déni, qui brouillait le lien entre changement climatique et production-consommation d’énergie fossile. Ils entretenaient aussi une seconde illusion : le gaz naturel issu du schiste pouvait offrir un pont vers les renouvelables ». Pensant que les ressources traditionnelles en pétrole et gas s’épuisaient (c’était vrai, mais à un rythme insuffisant pour prévenir la catastrophe du changement climatique) et soulignant que le gaz naturel produisait moitié moins de CO2 que le charbon, les dirigeants politiques et économiques – et même de nombreux climatologues et « écologistes » - se sont persuadés que, sur les plans éthiques et environnemental, promouvoir le gaz de schiste était une décision saine. Et ils en ont convaincu leur mandant.
Mais lorsque le gaz est devenu bon marché, on l’a utilisé de plus en plus pour le transport et le chauffage résidentiel, et les pertes dans les réseaux de distribution ont annulé une bonne part des gains dans la production d’électricité. Troisièmement, le calcul des avantages postulait une substitution du gaz au charbon ; elle a effectivement eu lieu dans certaines zones (notamment aux Etats-Unis et dans quelques pays européens), mais dans d’autres (par exemple au Canada) le gaz a surtout replacé le nucléaire et l’hydroélectricité. Dans bien des régions, le gaz bon marché est simplement devenu une ressource énergétique supplémentaire pour satisfaire une expansion de la demande, et ne s’est pas substitué à d’autres formes d’énergie fossile. Avec la construction de nouvelles centrales thermiques au gaz, les infrastructures fondées sur l’énergie fossile ont encore accru leur emprise et les émissions mondiales totales ont poursuivi leur ascension. Lorqu’on disait le gaz naturel avantageux pour le climat, on supposait qu’avec lui les émissions nettes de CO2 allaient diminuer, mais il eût fallu pour cela, à court terme, restreindre strictement l’usage du charbon et du pétrole, et, à long terme, éliminer aussi le gaz. Quatrièmement, la plupart des analyses oubliaient les effets rafraîchissants des aérosols issus du charbon : s’ils étaient mauvais pour la santé humaine, ils avaient joué un rôle déterminant en maintenant le réchauffement à un niveau inférieur à celui qu’il aurait déjà atteint sans eux. Cinquièmement, et c’est peut-être le plus important, les prix durablement bas des énergies fossiles, grâce au maintien des subventions et à la non comptabilisation des coûts externes, sabotaient les efforts d’économie d’énergie et déprimaient les marches émergent du solaire, de l’éolien et des biocarburants (notamment les biocarburants liquides, cruciaux pour l’aviation).
C’est ainsi que le pont vers un avenir zéro carbone s’est effondré avant que le monde l’ait franchi.

Comme il s’agit d’une fiction, on espérera néanmoins que l’humanité sera moins bête que dans cet essai et finira par réagir.
Tiens, si ça peut faire réfléchir les gens, voici une vidéo tournée hier à Novosibirsk en Sibérie où il régnait des températures de 38°C avant qu’une pluie de grêle – ressemblant à la fin du monde – s’abatte sur la plage.

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