samedi 6 août 2011

Exclusivité : Faillite des Etats et Siècle bleu 2


L’augmentation de la dette des Etats et en particulier celle des Etats-Unis me hante depuis des années. L'histoire s'accélère. A l'heure où nous venons d'apprendre la dégradation de la note américaine de AAA à AA+ (Standard & Poors aurait dû le faire depuis bien longtemps), je vous livre en exclusivité un chapitre du tome 2 de Siècle bleu en cours de préparation, où justement cette question est abordée. J'ai écrit ça il y a presque un an. Il s’agit d’un face-à-face entre Abel (le leader de l'organisation écologiste Gaïa) et le président américain Carlson. Bonne lecture !


- NB : lire ce chapitre ne révèle rien de l'intrigue ! -


– Je vais vous confier quelque chose, Carlson. Lorsque vous avez été élu, je croyais vraiment que vous seriez capable d’influer sur le cours de l’Histoire. Sur l’environnement, la sécurité sociale ou la politique étrangère par exemple. J’avais confiance en vous.

– Je sais ce que vous pensez de mon bilan. Mais avant de juger, il faut vous remémorer dans quelles circonstances, j’ai repris ce pays.


Carlson évoqua le bourbier irakien, mais lui rappela surtout « la crise financière dans laquelle le pays s’était empêtré à cause d’une bande d’escrocs et d’incompétents qui avaient alimenté une bulle spéculative innommable sur les crédits accordés aux plus pauvres ». La fameuse crise des subprimes. Les nations, c’est-à-dire les contribuables, s’étaient saignées pour éviter l’écroulement du système financier, ne laissant plus aucune marge de manœuvre pour financer le progrès social.


– Après cela, les banques nous tenaient, reconnut Carlson. Alors même que ce sont elles qui nous avaient plongés là-dedans ! Nous avons accouché d’un parasite redoutable.


Carlson lui expliqua que personne n’avait mesuré les conséquences ni le coût du dispositif de sauvetage mis en place. Les technocrates qui l’avaient conseillé avaient tous travaillé dans de grandes banques de Wall Street et celles-ci avaient réalisé des profits colossaux sur le dos du programme.


– Personne ne comprend plus rien au fonctionnement de l’économie américaine. Si vous regardez froidement la situation, c’est un pays surendetté qui devrait être en faillite depuis longtemps. Je ne sais même pas comment nous sommes encore debout. On m’a dit que nous tenions que parce que notre monnaie était la référence et que tout le monde détenait des dollars. Le spectre de la faillite des États-Unis est tellement effrayant que personne ne laissera faire. L’ensemble de la planète paiera pour l’éviter, mais cela ne fera que retarder l’inéluctable. Avec la dette, l’humanité a accouché d’un autre parasite mortel.


Depuis quinze ans, l’économie occidentale avait financé son développement avec la dette. Les politiques avaient trouvé l’artifice permettant de donner au peuple l’illusion que tout allait bien et de se faire réélire. En réalité, ils avaient hypothéqué l’avenir de leur pays en condamnant les générations futures à rembourser des dépenses inutiles. Une prise de conscience était nécessaire avant l’implosion.


Abel poussait le raisonnement encore plus loin : les États-Unis entraîneraient le reste du monde dans leur chute et, au lieu de au lieu de couper massivement leur budget militaire, ils consacraient toujours autant aux dépenses d’armement. Quand viendrait l’heure des comptes, ces armes feraient la différence. La perspective d’une guerre lui glaça le dos.


– Pour faire semblant de rembourser notre dette, on m’a poussé à faire des choses folles. Par exemple, nous avons émis de nouveaux emprunts qui ont été souscrits par la Réserve Fédérale elle-même ! C’est impensable, mais la planète financière a laissé faire, sans rien dire, tant la faillite de notre pays est inimaginable. Le système vit dans une éternelle fuite en avant. Il explosera tôt ou tard. Et pendant ce temps-là, la fête continue. Ainsi va la vie.


Abel était pantois. Même le président ne savait pas où le pays allait.


– Mais qui pilote ce pays, alors ? demanda Abel.

– Personne, lâcha le président. D’ailleurs, plus généralement, personne ne pilote cette planète. Certains croient à une théorie du complot, il n’y en a pas. Il y a juste des gens avides d’argent, partout, qui espèrent chacun grappiller les miettes d’empires qui s’effondrent. C’est une convergence d’intérêts nihilistes. Dans ces conditions, comment vouliez-vous que mon bilan soit positif ? Il y avait trop de forces sombres à combattre pour faire changer les choses.


Abel en tremblait. Le monde allait encore plus mal qu’il ne l’imaginait. Carlson était lancé, Abel l’écoutait avec attention.


– Heureusement certains, comme vous ou les acteurs de la société civile, essayent, à leur échelle d’améliorer les choses ou de les rendre moins tragiques. Si l’on jette un regard optimiste sur tout ça, plutôt que d’un effondrement, l’humanité est peut-être à l’orée d’une métamorphose. En même temps que l’on observe des signaux au rouge sur tous les fronts, on assiste à un réveil de l’empathie. Et puis les problèmes étant mondiaux, cela poussera à avoir une réponse planétaire. Néanmoins, la transition risque d’être longue et sanglante. Ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent, vivent dans une peur totale et seront capables du pire pour s’accrocher à leur place encore un peu plus.


Abel partageait avec Carlson la nécessité d’une réaction rapide.


– Le monde est tenu aujourd’hui par les hommes politiques, les industriels et le crime organisé, poursuivit Carlson. Trois classes très imbriquées et qui ont peur. Très peur. Les hommes politiques ont peur de ne pas être réélus, les industriels ont peur de leurs actionnaires et de leurs concurrents, les criminels ont peur pour leur vie. Et je ne parle même pas de la peur qui ronge les simples citoyens. Une société qui a peur ne peut aller nulle part car chacun lutte pour sa survie et vit dans le présent.


Abel le regardait, il n’avait malheureusement rien à redire. Comme souvent dans l’Histoire, l’Humanité s’était enfermée, toute seule, dans une impasse.


– Dans ces conditions, les réactions collectives sont presque impossible, poursuivit Carlson. Prenez l’environnement, le sujet qui vous tient à cœur. C’est une évidence, il faut préserver les ressources de cette planète et réduire notre empreinte écologique. Tout le monde est d’accord avec ça. Pourtant, dès que l’on se tourne vers les contribuables, personne ne veut faire d’effort. La problématique écologique a révélé tous les dysfonctionnements de notre civilisation occidentale : cupidité, aveuglement, incompétence et immobilisme.


Depuis le sommet de Rio de 1992, qui avait tant marqué Abel, vingt années s’étaient écoulées. Malgré les discours et les efforts de certains, rien ne s’était produit. L’Humanité avait continué à plonger et la problématique environnementale ne pourrait être résolue que si l’on s’attaquait aussi aux autres maux qui rongeaient les sociétés humaines. La tâche était herculéenne et pour nettoyer ces écuries d’Augias, il faudrait une véritable prise de conscience planétaire. Comment y parvenir ?


– L’Homme est une espèce extraordinaire mais vraiment idiote, résuma Carlson. Paul Gardner l’avait bien dit.


PS : Il va falloir que je me dépêche car la réalité rattrape la fiction. La sortie du tome 2 ne sera malheureusement pas pour octobre 2011, 650 pages à peaufiner c’est très long quand on travaille et que l'on a deux enfants en bas âge. Mais je vois le bout et j'ai une semaine de vacances tout seul à partir de demain pour finir. Je vous tiens au courant d’ici quelques semaines dès que l'éditeur aura tout relu et qu'il aura fait le planning.

PS : Rassurez-vous, dans le tome 2, il est question de thèmes très durs comme celui-ci mais aussi de réflexions plus lumineuses. Noircir ne suffit pas, il faut essayer d'éclairer.