samedi 31 octobre 2009

Biosphere 2 : rencontre avec des Biosphériens (3/4)


Cet article est le troisième de mon enquête sur Biosphere 2 (je vous conseille de lire les précédents articles avant celui-ci):

- Partie 1 : Biosphere 2, la genèse du projet,

- Partie 2 : Biosphere 2, construction et désillusions,

- Partie 3 : Biosphere 2, rencontre avec des Biosphériens.

- Partie 4 : Biosphere 2, la vérité qui dérange.



Afin de comprendre ce qui s’était réellement passé dans Biosphere 2, il fallait que j'approche directement des acteurs de ce projet. C’était d’autant plus important, que le roman que j’avais commencé à écrire se déroulait en partie à Biosphere 2 et que je devais tirer ça au clair avant de le terminer.


En 2006, j’étais tombé par hasard sur le roman Le Rêve de White Spring de Michèle Decoust, paru aux Editions du Seuil. Ce livre magnifique raconte de façon romanesque l’épopée de Biosphere 2 mais transposée en Australie, au cœur des pistes du rêve. Il était indiqué en quatrième de couverture que Michèle Decoust avait participé au projet Biosphere 2. C’était donc à ma connaissance la seule personne en France à avoir côtoyé les initiateurs du projet, je tenais mon lien avec les créateurs du projet.


Après de nombreux échanges électroniques, j’ai finalement rencontré de Michèle Decoust en mai 2008 à Paris (la première version de mon roman était alors terminée). Journaliste (proche de la revue Nouvelles Clés que j’apprécie), réalisatrice (je vous ai parlé de son dernier film sur Auroville), écrivain et ethnopharmacologue, elle parcourt le monde ce qui explique pourquoi il était difficile de la rencontrer. Michèle est une personne admirable, qui est depuis devenue une amie. Nous partageons de nombreuses références et elle s’est tout de suite intéressée à mon projet de roman.


Michèle a vécu l’aventure de Biosphere 2 de très près. Elle avait rencontré l’équipe de John Allen en Australie dans les années 80 et est devenue la petite amie de Phil Hawes, l’architecte de Biosphere 2 (un élève du célébrissime Frank Lloyd Wright). Elle les a suivis jusqu’en Arizona en 1988 et y a passé plusieurs années en tant que réalisatrice pour filmer la construction de la Biosphère, qu’elle compare à celle des cathédrales. Elle était la mémoire de Biosphere 2. Elle a interviewé et filmé tous les penseurs et personnalités qui s’étaient rendus sur le site (Ravi Shankar, Charles Mingus, James Lovelock, William Burroughs, Buckminster Fuller, Marlon Brando mais aussi des astronautes, des stars du cinéma, des leaders religieux, des scientifiques, des têtes couronnées européennes…). Même si elle ne faisait pas partie des 8 biosphériens à l’intérieur, elle a été profondément marquée (positivement) par cette expérience et en garde des souvenirs de rencontres extraordinaires. On pourrait même parler d’illumination. Michèle en a tiré un documentaire de 52 minutes intitulé « Bouddha et la Biosphère » (qu’elle présente de temps à autre dans des festivals, guettez sa prochaine projection sur Internet) et son roman Le Rêve de White Spring.


Grâce à elle, le 12 décembre 2008 (soit près de 20 ans après avoir lu l’article séminal de Science&Vie sur le projet), j’ai enfin rencontré mes « héros » : Abigail Alling (« Gaie ») et Mark Van Thillo (« Laser »), deux des huit fameux biosphériens. Ils étaient de passage à Paris pour quelques jours chez Michèle Decoust. Elle a organisé un petit dîner dans son appartement qui domine les toits de Paris. Soirée inoubliable, véritable rencontre du troisième type.


Gaie et Laser sont des êtres humains extraordinaires qui savent vivre leurs rêves. Simples, abordables, doués d’une incroyable compassion pour le genre humain et la biosphère. Comme Michèle Decoust, l’expérience de Biosphere 2 les a transformés. Physiquement et spirituellement. 15 ans après (ils sont sortis de la Biosphère en septembre 1993), les marques de l’expérience sont indélébiles. Ils considèrent, sans prétention, qu’ils ont été des extraterrestres sur Terre pendant deux ans. En écoutant leur récit, on ne peut que les croire.


Lorsqu’ils sont rentrés dans la biosphère, Gaie et Laser avaient respectivement 29 et 27 ans (Gaie se trouve à l’extrême gauche de la photo et Laser à l’extrême droite). Ils étaient donc très jeunes (si l’on compare par exemple à l’âge des astronautes qui ont plutôt en moyenne la quarantaine). Ils avaient rencontré John Allen (le créateur du projet donc j'ai parlé dans un précédent post), des années auparavant et avaient déjà réalisé de nombreuses missions avec l’Institut d’Ecotechnique, notamment sur un bateau lui aussi utopique, l’Heraclitus.



L’Heraclitus est une sorte de jonque, imaginée et construite par John Allen et ses équipes au milieu des années 70 à Oakland, dans la baie de San Francisco. Michèle Decoust a réalisé un autre splendide documentaire sur ce bateau, Le Dragon des Mers, où l’on voit notamment des images d’archive de sa construction. A bord de l’Heraclitus qui les a menés jusqu’en Antarctique, ils ont appris les contraintes de la vie en communauté dans un espace confiné et ils ont forgé les valeurs nécessaires pour vivre en autarcie pendant deux ans. C’est sur la base de ces critères d’endurance, de solidarité, de travail en équipe et d’ouverture d’esprit que John Allen les a sélectionnés, comme les 6 autres. Gaie était diplômée en écologie de Yale, et sa spécialité était les mammifères marins. Dans Biosphere 2, elle était plus particulièrement en charge de la conception et de l’entretien de l’océan et du récif corallien. Laser, originaire d’Anvers, après des études à l’Institut technique Don Bosco, a voyagé pendant des années (notamment à bord de l’Heraclitus) où il s’est passionné pour les systèmes mécaniques et écologiques. A lui seul, et malgré son jeune âge, il était responsable de toutes les machines à l’intérieur de Biosphere 2… Heureusement qu’il était un bricoleur de génie.


Voilà donc nos 8 aventuriers catapultés à l’intérieur de la biosphère. Là, un travail herculéen les a attendus, comparable à l’épreuve des écuries d’Augias. Le choix du nom de l’Heraclitus avait été prémonitoire ; John Allen, qui ne laissait rien au hasard, l’avait probablement anticipé. Le maintien en condition de la biosphère (agriculture, élevage, ménage, arrachage des mauvaises herbes, nettoyage de l’océan, contrôle des espèces nuisibles, réparations en tout genre, préparation des repas à partir des seules productions de la biosphère) leur prenait en effet un temps fou, la majeure partie du temps de leur journée même, ne laissant que peu de temps pour les expériences « scientifiques » (même si comme on le verra plus loin, vivre dans la Biosphere 2 constitue en soi une expérience unique).


A cette activité harassante, se sont combinées des conditions de vie à l’intérieur de la biosphère extrêmement rudes : dans cet écosystème artificiel, la composition atmosphère atteint un équilibre un équilibre différent de celui que nous connaissions sur Terre. Les niveaux de CO2 ont atteint des niveaux records (jusqu’à 3400 ppm contre 380 ppm sur Terre) avec de très amples variations journalières et saisonnières, et l’oxygène se mit à disparaître mystérieusement conduisant à réinjecter de l’oxygène dans la biosphère. Après deux ans dans ces conditions hostiles, dignes d’un autre monde, les biosphériens ont tenu et sont ressortis rachitiques et épuisés. Au lieu d’être acclamés comme des héros, ils ont été la cible d’âpres critiques. Ils ne s’en sont jamais réellement remis.


Ces critiques avaient commencé avant même le début de l’expérience. Un article de Marc Cooper dans le magazine new-yorkais Village Voice publié le 2 avril 1991 (l’expérience a commencé le 26 septembre 1991) avait mis le feu aux poudres.


Nous avons passés ces critiques en revue avec Gaie et Laser et voici leurs réponses.

  • Biosphere 2 est une escroquerie, de l’air y a été réinjecté : cet argument a été utilisé par toute la presse. Tout d’abord ce n’est pas une escroquerie, car les promoteurs du projet ne l’ont jamais caché, ils ont juste été maladroits. La responsable des relations publiques (dont ce n’était pas la formation) aurait pu communiquer en indiquant que cette première mission de deux ans était inédite et que tout ne serait pas parfait du premier coup. Dieu n’a pas fait le monde en un jour. Et puis le volume d’air injecté était mesurable et en soi ne pertubait pas l’expérience mais permettait juste qu’elle se poursuive. Au lieu de cela, les promoteurs du projet ont ignoré les journalistes (même parfois pris de haut), ce qui a renforcé les suspicions à l’égard du projet. Ces erreurs de communications sont cruciales pour comprendre l'échec de Biosphere 2. Pour en avoir discuté avec les protagonistes, elles sont dues à :
  • un manque d’expérience de la relation avec les journalistes notamment au niveau de la responsable de la communication. Cette partie de l’équipe aurait dû être mieux choisie,
  • un manque de temps criant car toutes les équipes (à l’intérieur et à l’extérieur) étaient surchargées et n’avaient pas le temps matériel de répondre aux sollicitation des journalistes,
  • un sentiment de non-nécessité de se justifier car le projet était une initiative privée. C’est là que l’erreur a sans doute été la plus grande.
  • Les participants entraient et sortaient de la Serre. C’est absolument faux. Les Biosphériens ont vécu en isolement total dans un « autre monde » pendant 2 ans. Les tensions personnelles et entre les groupes d’individus ont été nombreuses, mais ils n’ont jamais craqué. Il y a eu une seule exception, Jane Poynter, qui a dû sortir après quelques jours, se faire recoudre un doigt que le Docteur Ray Walford (à l’intérieur) n’avait pas pu soigner, les sas sont restés complètement fermés. Quand elle revint dans la Serre quelques heures après, on l’accusa de tous les maux.
  • Pas de science dans Biosphère 2 : Le principal enseignement de cet expérience est humain. Même si l’expérience n’était pas parfaite, elle a aussi permis plusieurs découvertes ou développements technologiques. Par exemple, lorsque l’oxygène disparaissait de la biosphère, ils l’ont recherché partout (dans d’éventuelles fuites, dans les sols…) mais ils se sont rendus compte qu’il était en fait fixé dans le béton avec du CO2. Avant Biosphere 2, on n’aurait jamais pensé cela. Avec un simple vernis naturel, le béton a été traité et n’a plus absorbé l’oxygène. Ils ont également aussi mis au point des systèmes de recyclage des eaux par des boues que Mark Nelson, l’un des biosphériens, a par la suite commercialisés : Waste Water Gardens.
  • La Biosphère a été infestée par les insectes nuisibles : pour Gaie et Laser, le fait que les fourmis et les cafards se soient multipliés n’est pas négatif. En effet, Biosphere 2 étant très différente de Biosphere 1 (la Terre), l’équilibre des espèces qui s’y forme n’avait aucune raison d’être le même.
  • Biosphere 2 est gérée par une secte : comme je vous l’avais expliqué dans un précédent post, les biosphériens faisaient du théâtre, de la méditation, sous l’impulsion de John Allen au sein du groupe Synergia. Ce groupe a été accusé de secte ce qui est faux même si John Allen peut quand même être considéré comme un maître à penser, mais c'est plus un leader qu’un gourou.


Au-delà de ces critiques, qu’ils ont toujours du mal à encaisser, Gaie et Laser m’ont raconté les enseignements qu’ils avaient tirés de cette expérience. Dans Biosphere 2, une pollution isolée avait des conséquences visibles et sensibles partout ailleurs en l'espace de quelques heures ou quelques jours, pas quelques décennies. Ils ont donc ressenti viscéralement ce que c’était de vivre dans un monde où tout interconnecté (très peu d’humains ont eu cette révélation). Ils ont appris que nous devons nous conduire en « équipage », en « intendant » (notion de stewardship en anglais) et non pas en « passager » sur cette planète. Ils ont également reconnu qu’ils étaient trop peu nombreux pour concevoir, construire et opérer une biosphère dans des temps si courts. Le budget de deux cents million de dollars injecté par Ed Bass étaient finalement modeste en regard de ce qu’ils ont accompli.


Ils estiment aussi que ce projet est arrivé trop tôt pour deux raisons. La première c’est qu’en 1991, la prise de conscience sur l’effet du CO2 était encore très limitée et les conclusions physico-chimiques de Biosphere 2 n’intéressaient personne. Le grand public n’était pas éduqué pour comprendre. A l’heure actuelle, après l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto et la vulgarisation de la problématique par les médias, un tel projet aurait eu beaucoup davantage de répercussions. La deuxième raison qui leur fait dire que ce projet est arrivé trop tôt, c’est qu’à cette époque le web n’existait pas vraiment. En 1993, le World Wide Web n’était en effet en qu’à ses balbutiements. Je suis rentré en école d’ingénieur en septembre 1993 et à cette époque il n’y avait que quelques centaines de serveurs web de part le monde (nous avions d’ailleurs monté à l’Ecole l’un des tous premiers serveurs français et l’on découvrait chaque semaine les nouveautés du langage HTML que je testais sur ma page personnelle), à l’époque on connaissait encore le web par cœur et on regardait chaque jour les nouveaux serveurs qui apparaissaient. Avec le web, la communication du projet n’aurait pas dû nécessairement passer par les fourches caudines journalistes (évitant cette campagne de dénigrement dont ils ont été victimes). L’équipe de Biosphère 2 aurait donc piloté sa communication et les internautes se seraient rendus compte en temps réel de la dureté des conditions de vie à l’intérieur de la serre et de l’intérêt de l’expérience. Le rôle éducatif de la biosphère aurait pu être extraordinaire. Tous les enfants qui visitaient le site étaient enchantés par ce qu’ils découvraient. Avec le web, ils auraient été des millions à pouvoir virtuellement effectuer ce pèlerinage.


Cette confession de Gaie et Laser, les larmes aux yeux quand ils évoquaient leur biosphère, était extrêmement touchante. Tout ce qu’ils m’ont dit correspondait à ce que j’avais pressenti depuis 20 ans : cette expérience avait été extraordinaire et avait été enterrée par l’establishment américain hostile à une telle révolution. La réussite d’une telle utopie privée aurait été problématique pour eux. Même si je n’avais pas vécu la même chose qu’eux, nous nous sommes sentis complètement en osmose, tellement cette expérience me tenait aussi à cœur et tellement j’en avais rêvé. Ce qui s’est noué pendant cette soirée était extrêmement puissant. La dernière heure de discussion fut inoubliable, à parler de dauphins, des coraux, de la Terre, du rôle de la technologie et de l’avenir de l’homme.


Je devrais les revoir bientôt, ils sont en ce moment à Malte, où ils préparent un nouveau bateau pour la Pacific Coral Reef Foundation, la fondation de protection des coraux dont ils s’occupent.


En se quittant, ils m’ont dit que je ne pourrais pas complètement comprendre Biosphere 2 si je ne rencontrais pas John Allen. Cette rencontre fut plus dure à monter mais je l'ai finalement vu le 20 octobre 2009 à Paris. Compte-rendu bientôt sur ce blog.


PS : deux coïncidences bizarres pendant cette soirée : j'avais imaginé dans mon roman que la forêt vierge de Biosphere 2 cachait de mystérieuses plantations d'ayahuasca (une plante sacrée hallucinogène utilisée par les chamanes d'Amérique du Sud) et que l'océan contenait un tridacne géant (le plus gros des coquillages), et bien j'avais vu juste ! Gaie et Laser étaient circonspects, moi aussi.

mercredi 14 octobre 2009

Obama au pays des Bisounours



Lorsque j’ai appris le choix de Barack Obama par le comité Nobel la semaine dernière, ma première réaction fut l’indignation (même si j'apprécie globalement les idées et surtout le style Obama). Finalement je me dis que peut-être ce jury a de l’humour et même du second degré. N’oublions pas que le prix Nobel de la paix aurait été suggéré à Alfred Nobel pour réparer « le mal qu’il avait causé avec la dynamite » dont il était l’inventeur. En décernant dès le début de son mandat le prix Nobel de la paix à Obama, c’est peut-être une sorte de vaccin contre la violence (ou en tout cas contre un revirement de ses opinions) que nos amis d’Oslo ont cherché à lui inoculer.
Barack Obama a en effet dû se retrouver fort embarrassé de recevoir une telle distinction à son réveil. Il a vite dû se rendre compte qu’il aurait bien du mal à décliner ce prix compte tenu de sa popularité et de l’espoir qu’il représente pour une grande partie de la population mondiale. Ses filles ne lui auraient pas non plus jamais pardonné de renvoyer cette cargaison de bisounours arrivés tout droit de Scandinavie, le pays du Père Noël. Leur papa adoré allait de plus devenir du jour au lendemain, l’« homme le plus gentil du monde », ce n’est pas rien pour un papa.
Barack va donc traîner pendant 3 ans (et peut-être plus) cette image de bisounours. J’imagine que lorsqu’il aura besoin d’intervenir militairement, nous allons assister à de sublimes inventions d’oxymores ou autres euphémismes de bienséances. Après la guerre propre, la pacification, les conflits armés, les frappes chirurgicales ou les dommages collatéraux, que va-t-on nous inventer ? La guerre bienveillante, les attaques douces, les boucliers anti-méchants, la bombe qui fait pas mal, l’obus fleuri, l’opération arc-en-ciel ? Ca ne va pas être simple pour lui d’être convaincant, car un bisounours déguisé en soldat, ça ne fait pas très peur et c’est surtout ridicule.
Peut-être que finalement après cela nous assisterons à la fin de la guerre (Fukuyama nous avait bien prédit la fin de l’histoire), tellement ce concept est rétrograde. « So Second Millenium » comme diraient nos amis british. Cela va être en tout cas intéressant de suivre l’impact de cette distinction sur le discours et l’attitude des Etats-Unis sur la scène internationale. D’ailleurs, Obama devra aller chercher son prix à Oslo le 10 décembre (date anniversaire de la mort d’Alfred Nobel) en plein milieu du Sommet de l’ONU sur le climat qui se déroulera à Copenhague du 7 au 18 décembre. Les Etats-Unis auront donc peut-être du mal à se défiler (comme ils cherchent en ce moment à le faire malgré les belles promesse de l'ami Barack).
En définitive, je me demande presque si ce Prix Nobel ne serait pas un nouveau calunar des Yes Men, eux qui avaient il y a 5 ans si bien piégé Dow Chemicals en proposant d’indemniser les victimes de Bhopal en direct à la BBC. Si vous ne connaissiez pas cette vidéo, délectez-vous, c'est du miel.

dimanche 11 octobre 2009

L'Enchanteur de Sadhana Forest


Mon ami et beau-frère David est allé en Inde cet été à Pondichéry. Il a profité de son séjour pour faire un détour par Auroville (cf. mon précédent post sur Auroville) et voir le très charismatique Aviram Rozin que nous avions rencontré à la première du film Auroville, une terre pour demain. Vers une écologie spirituelle de Michèle Decoust. Ce qu’il a ramené de cette visite est extraordinaire et je vais essayer d’être aussi fidèle que possible à son récit.


Sadhana Forest se trouve à l’extérieur du cœur « vert » d’Auroville, là où presque rien encore ne pousse (Auroville a été bâtie elle aussi dans un désert). Après avoir traversé à vélo ce désert de rocailles, des arbres apparaissent soudain, des hectares d’arbres implantés par l’homme là où ils avaient disparu.


L’enchanteur derrière cette prouesse s’appelle Aviram Rozin. Originaire d’Israël, il a décidé en 2003 de s’installer avec sa femme Yorit et sa fille à Auroville pour donner un sens à sa vie. Ce sens, il l’a trouvé à travers ce projet Sadhana Forest qu’ils ont imaginé. Sa vision était de refaire partir une forêt de 30 hectares au milieu de nulle part. Au bout de 6 ans, ce pari semble bien parti pour être gagné, 20 000 arbres ont été plantés (pour la plupart encore vivants) mais le projet mettra entre 20 ou 30 ans pour être mené à sa fin. Il est l’Elzéar Bouffier du roman de Giono L’homme qui plantait des arbres dont je vous avais parlé sur ce blog.


Pour réaliser ce miracle, Aviram Rozin s’est d’abord attaqué au problème de l’eau. Si rien ne pousse, c’est que l’eau ne reste pas. Elle glisse sur le sol, ruisselle et n’alimente pas les nappes phréatiques. Pour retenir cette eau filante en l’absence d’humus, il a commencé par creuser des trous dans les zones les plus hautes (sinon c’est inutile). A proximité de ces bassins de rétention, il a ensuite planté des arbres à feuilles caduques (c’est-à-dire des arbres qui perdent leurs feuilles). En tombant, ces feuilles ont créé de l’humus qui limite à son tour le ruissellement. Un cercle vertueux est amorcé. De véritables digues ont été construites partout pour retenir et alimenter les nappes phréatiques qui sont remontées de près de six mètres. Aujourd’hui la forêt est belle et agréable, les animaux y sont de retour. Les volontaires de Sadhana Forest vont peu à peu faire des coupes dans la forêt et remplacer les espèces choisies par Aviram par des plantes indigènes. Aviram travaille aussi sur l’optimisation de l’utilisation de l’eau et de l’énergie nécessaires pour subvenir aux besoin de la communauté Sadhana.


La permaculture


A Sadhana Forest, en plus de faire grandir les arbres, Aviram Rozin a fait aussi grandir les hommes. Pour Aviram Rozin, ce projet en lisière d’Auroville n’est donc qu’une première étape, un « proof of concept » comme on dit en anglais. Il voudrait étendre l’expérience à d’autres lieux où l’eau manque et où la nature a disparu. La finalité de Sadhana va plus loin que simplement planter des arbres car il s’agit bien créer des écosystèmes permanents avec des liens entre faune, flore, humains et terrains. Pour chaque nouveau lieu, il faudra s’y prendre différemment, en prenant en compte les particularités topographiques, minérales, botaniques ou climatiques de l’endroit. Il n’y aura donc pas de recette « Sadhana Forest » mais plutôt des principes. Ces principes sont en grande partie inspirés de la permaculture. Les principes de la permaculture sont très proches de ceux qui avaient été mis en œuvre pour la conception de l’écosystème clos Biosphere 2, une de mes plus grandes passions abordée ici à plusieurs reprises (ça me rappelle que je dois d’ailleurs finir ma série commencée l’an dernier sur ce blog et vous parler de la suite de mon enquête et de ma rencontre en décembre 2008 avec les acteurs du projet Biosphere 2… oops).


L’idée de la permaculture remonte au milieu des années 70 et aux travaux de deux agriculteurs australiens Bill Mollison et David Holmgren. Révoltés par les ravages de l’agriculture industrielle et inspirés par les publications d’Howard Odum (l’un des conseillers de Biosphere 2), ils ont publié le livre Permaculture One, œuvre fondatrice de ce nouveau concept agricole. La permaculture est une approche systémique qui recense chacun des éléments d’un écosystème, établit pour chacun la liste des entrées et des sorties et des processus internes et essaye de combiner les relations entre ces éléments pour que l’ensemble soit aussi harmonieux, efficace et robuste. La permaculture va donc bien plus loin que l’agriculture productiviste qui cherche uniquement (pour être caricatural) à maximiser un rendement de court terme. Elle s’accompagne aussi d’une triple éthique : prendre soin de la Terre, prendre soin des hommes, distribuer équitablement. Le dessin ci-dessous (sur lequel vous pouvez zoomer) intitulé « Mandala de la Permaculture » et conçu par l’artiste Graham Burnett résume bien cette philosophie.


Pour en savoir plus sur ces concepts très profonds, je vous conseille d’utiliser Wikipedia comme point de départ (en français et en anglais).


Soutenir Sadhana Forest


La communauté de Sadhana Forest à Auroville arrive aujour’hui à vivre presque de façon autonome, mais a toujours besoin de dons pour poursuivre ses travaux et surtout commencer à essaimer ce savoir-faire ailleurs à l’étranger. Ils sont en train de réfléchir à un terrain particulièrement aride au Maroc. Aviram Rozin pense pouvoir à terme subvenir aux besoins en eau de 15000 personnes. Si ce projet vous intéresse, vous pouvez déjà envoyer des dons à l’association Fotosintesia qui joue le rôle d’interface en France avec Sadhana. Cette association est très sérieuse, nous la connaissons. Ces dons donnent lieu à un abattement fiscal de 66%, donc il n’est pas encore trop tard pour en profiter sur vos impôts 2010 (calculés sur vos revenus 2009). Le formulaire décrivant la procédure de déversement est téléchargeable ici.


Au delà de la permaculture : la permasociologie ?


Quand j’ai entendu parler de la permaculture, je me suis mis à imaginer un concept de permasociologie (ou même de permaéconomie). Imaginons une méthode (ou plutôt des outils) qui permette de refaire jaillir la vie sociale là où il n’y en a plus : une banlieue gangrenée par la violence et le chômage, une zone de non-droit livrée aux mafias, un pays anéanti par une guerre ou une dictature, une région dévastée après un cataclysme naturel ou un accident industriel, une famille après un drame, une entreprise après un scandale… Je crois qu’une telle sociologie de reconstruction transposée de la permaculture (c’est à dire d’une analyse systémique des liens entre la population, son environnement, son histoire, ses espoirs, ses flux d’énergie) serait formidable pour le futur de nos sociétés et de notre planète.



Évidemment chaque cas différerait (comme le revendique la permaculture) et tout cela serait bien dans la lignée de la pensée de Réné Dubos qui le premier avait dit « Penser globalement, agir localement ». Silencieusement c’est ce que font déjà des centaines de milliers d’associations, d’ONG et de personnes à travers le monde. Ce tissu silencieux s’il devient coordonné aura une force phénoménale que Paul Hawken (l’auteur de l’extraordinaire Natural Capitalism en 1999, certainement l’un des livres les plus importants de ces dernières décennies, j’y reviendrai un jour) a très bien décrit dans son dernier ouvrage Blessed Unrest. Ce livre est le résultat d’une analyse de 10 ans où il a essayé de recenser tous les mouvements actifs dans la défense de l’environnement ou de la justice sociale. Lorsque le livre a été lancé (le jour de la Terre en avril 2007), il a lancé également un site Internet baptisé Wiser Earth. Ce site sous la forme d’un wiki répertorie et met en relation près de 100 000 associations à travers le monde. Je vous invite à y faire un tour.


A propos de l’eau


Ce week-end, deux événements spatiaux importants autour de l’eau :

  • Guy Laliberté (le fondateur du Cirque du Soleil) a réalisé sa mission sociale poétique (dont je vous avais parlé en juin puis en septembre) depuis la Station Spatiale Internationale. Vous pouvez regarder une rediffusion de ce parcours planétaire de deux heures autour du thème du respect de l’eau sur le site de la fondation One Drop: http://broadcast.onedrop.org. Guy Laliberté est revenu sur Terre tout à l'heure sain et sauf.
  • La sonde LCROSS de la NASA est allée percuter la surface de la Lune afin d’y rechercher la présence d’eau. Attendons les résultats maintenant.