mardi 17 mars 2015

"Or noir" de Dominique Manotti : un polar d'exception.


Voilà un livre exceptionnel. « Or noir », paru il y a quelques jours à la Série noire de Gallimard, est l’un des meilleurs polars que j’ai lus depuis des années. Dominique Manotti réussit à nouveau un tour de force. J’avais chroniqué sur ce blog son remarquable « Le Rêve de Madoff » et je suis un fan de tous ses romans. Mais celui-ci est particulier pour moi car il traite de sujets qui me passionnent depuis des décennies avec une maestria inouïe.

L’intrigue se déroule du 11 au 31 mars 1973 entre Nice et Marseille. Ces dates ont leur importance pour moi, car c’est à peu près la période où mes parents m’ont créé (je suis né à Nice neuf mois plus tard le 5 décembre 1973). Ces évènements semblent avoir marqué les premières semaines de mon embryogenèse et ma personnalité bien plus que la position des astres à ma naissance. 

En toile de fond, la guerre de succession post Antoine Guerini et French Connection, opposant Tany Zampa et Francis le Belge à Marseille, et le début de la guerre des casinos à Nice (Fratoni commence à traîner ses guêtres du côté de la promenade des Anglais). Pour enquêter sur un meurtre survenu devant le Palais de la Méditerranée, le procureur de Nice fait appel au SRPJ de Marseille, représenté par le commissaire Daquin, fraîchement nommé et arrivé de Paris. Daquin est un personnage très fort et vraiment attachant que l’on a déjà suivi dans plusieurs romans de Dominique Manotti, mais ici on a la chance de le découvrir dans sa jeunesse, à 27 ans, lors de sa première enquête. En tirant les fils de l’enquête avec la détermination qui le caractérise, le voilà bientôt au cœur d’une affaire d’Etat(s) impliquant tous les réseaux souterrains marseillais (services secrets, SAC, dockers, francs-maçons, stups, trafiquants de drogue, hommes politiques…) et niçois, mais surtout le monde opaque et naissant du trading de pétrole. C’est là où le livre est une véritable innovation, car à ma connaissance ce sujet, pourtant capital, n’a jamais été abordé dans un roman.

1973 c’est en effet le début d’un nouveau monde. Le choc pétrolier qui éclatera en automne 1973 est en gestation. L’OPEP (emmenée par Nasser et l’Iran) veut affirmer son pouvoir vis-à-vis des 7 sœurs (Esso, BP, Shell, Chevron, Texaco, Mobil, Gulfoil qui ne forment aujourd'hui plus que 4 groupes après plusieurs fusions successives) qui achètaient alors la plupart du brut mondial (cf. L'inavouable histoire du pétrole de Frédéric Tonolli paru en 2012 aux Editions de La Martinière réalisé en parallèle d'une excellente série documentaire que l'on peut visionner en ligne). Sentant le bon coup, certains traders audacieux en minerais et métaux vont profiter de cette aubaine et verrouiller la commercialisation de ces nouveaux flux. Le plus téméraire de ces traders, c’est Marc Rich, celui qui sera surnommé pendant des décennies, le « King of oil ». La vie de Marc Rich a, on le sent, inspiré grandement l’autre personnage principal du roman : Michaël Frickx.

Marc Rich était le trader phare de Philipp Brothers (PhiBro), la plus grande maison de négoce de matières premières du monde qu’il a quitté en fracas pour fonder Glencore (initialement appelée Marc Rich and Co). Pendant des décennies, Rich a été de toutes les opérations, les plus juteuses, les plus secrètes et les plus condamnables. Castro, Kadhafi, Ceaucescu, les sandinistes, Pinochet, Khomeiny, le régime d’Apartheid… Ils ont tous utilisé les services de Rich. A la fin des années 90, Rich avait tellement de procès liés à des embargos non respectés, des fraudes fiscales ou du blanchiment d’argent qu’il était considéré comme l’ennemi public numéro un aux Etats-Unis et se trouvait en exil en Suisse (à Zoug, siège historique de Glencore). A la surprise générale, le 20 janvier 2001, Marc Rich a obtenu une grâce présidentielle (très très controversée) de Bill Clinton, à quelques heures de la fin de son mandat. Une vie digne d’un film de la 20th Century Fox, firme qu’il avait d’ailleurs rachetée. 


Pour celles et ceux que tout cela intéresse, je vous recommande ardemment la lecture de l’exceptionnel « Metal Men » de Craig Copetas (le meilleur livre sur le trading de matières premières) et « The King of Oil » de Daniel Ammann qui racontent en détails la vie de Marc Rich.


Dans le livre de Manotti, on a affaire à un Rich/Frickx à ses débuts (au moment où il fonde Marc Rich and Co) dans une affaire mêlant le grand banditisme marseillais (vestige de la French Connection qui venait d’être démantelée), l’Iran et Israël. Dominique Manotti nous révèle d’ailleurs un épisode très méconnu des relations autrefois clandestinement incestueuses entre ces deux Etats. Je n’en dis pas plus tellement c’est énorme et vous le découvrirez dans le livre (pour ceux qui n’ont pas peur des spoilers, suivez ce lien). Le pétrole a le pouvoir de rendre fou mais aussi de mettre tout le monde d’accord, même les pires ennemis.

Avant d’écrire des romans noirs, Dominique Manotti a enseigné l’histoire économique contemporaine à l’université. Ca se sent. Au-delà de son talent de conteuse parfaitement à l’aise dans la description des milieux interlopes, elle parvient à nous camper une gigantesque fresque économique et géopolitique, d’une époque hautement complexe où tout s’imbrique pour préfigurer ce que sera le XXIè siècle. Après cette période charnière, tout va tellement vite que l’on ne comprend les ressorts humains qui animent le monde. C’est peut-être à Marseille en 1973 que l’on peut encore analyser cette transition, pour éclairer notre présent et espérer lui substituer un autre futur.

Je confirme à peu près tous les éléments de ce livre, à part peut-être le lien entre Rich et la mafia marseillaise qui est un fait nouveau pour moi. Mais là-dessus soit Dominique Manotti a des informations de première main soit elle excelle dans l’art d’inventer une histoire romanesque à partir de faits réels. Dans tous les cas, tout cela paraît très probable.

Le livre de Dominique Manotti, tout en étant extrêmement bien documenté se lit d’une traite. Le curseur entre information et intrigue (palpitante) est parfaitement dosé. La culture marseillaise et niçoise sont aussi à l’honneur. On sent ces deux villes – si différentes – à travers l’odeur de  la cuisine de leurs restaurants les plus célèbres (Chez Etienne ou L’Epuisette du Vallon des Auffes) ou de la recette de la ratatouille, qui n’a rien à envier à celle de Jacques Médecin dans La bonne cuisine du comté de Nice, bible de tout Niçois qui se respecte. On y croise même certains de mes artistes favoris de l’Ecole de Nice, Ben Vautier et César, j’aurais préféré Yves Klein mais il était déjà mort depuis 10 ans au moment des faits.

Quelques extraits qui m’ont marqué :

· Ecrire l’Histoire, c’est savoir ménager l’oubli.
· Pas de hasard, mais quel enchaînement ?
· Maxime ne se voyait pas comme un truand, plutôt comme un négociateur, un intermédiaire entre deux mondes.
· L’avenir, ce n’est ni l’héroïne, ni la cocaïne, c’est le pétrole.
· Le gouvernement américain joue double ou triple jeu.
· Chez moi, l’optimisme de la volonté l’emporte parfois sur le pessimisme de la raison.
· Blanchiment, évasion fiscale, pétrole, pavillons de complaisance, il a tout compris à l’économie de demain.
· Avec un bon trader, plus personne ne sait d’où viennent les marchandises ni où elles vont.
· Non, simplement un homme politique qui a de gros besoins comme je te l’ai dit. Où veux-tu qu’il prenne de l’argent si c’est pas dans notre poche ? Ça se voit moins qu’ailleurs.
·  Il ne faut pas parler de secret d’Etat, mais d’information protégée. Tous les gens du métier sont au courant, mais chacun a un intérêt particulier à se taire. Un équilibre du silence. A Marseille, nous fonctionnons de la même manière.

Pour finir de vous convaincre de lire ce livre, je vous laisse écouter Dominique Manotti. 

dimanche 1 mars 2015

Seul sur Mars. Un thriller spatial exceptionnel.


Voilà un livre extraordinaire par l’originalité et la puissance de son intrigue. Avec Seul sur Mars, Andy Weir a réalisé un véritable tour de force. Au début de ce livre, une tempête de sable géante fonce s’abat sur le site de la mission martienne Arès-3 (troisième mission des colons humains vers Mars, dont la Terre a tendance à se désintéresser comme avec les secondes ou troisièmes missions Apollo). L’équipage doit partir en urgence, mais l’un d’eux est heurté par une tôle. Ses compagnons le recherchent mais en l’absence de tout signal indiquant qu’il est encore en vie, ils repartent vers la Terre. Le problème c’est que Mark Watney n’est pas mort. Sans moyen de communication et presque sans rien à se mettre sous la dent, il va devoir survivre. Démarre alors le thriller « survivaliste » le plus fou que j’ai jamais lu. Robinson Crusoë, Apollo 13 ou Gravity c’est de la gnognote à côté. Botaniste et bricoleur/mécanicien hors pair, au cours des 400 pages, on va assister au récit de l’incroyable aventure de Mark Watney, McGyver spatial à l’humour décapant, dont la survie va devenir une cause mondiale.

Andy Weir avait démarré le livre comme un roman épistolaire sur son blog en 2011 (donc après la sortie de Siècle bleu) en partant d’un problème : peut-on survivre seul sur Mars ? Chaque jour, de façon quasi improvisée, il a imaginé (en même temps que son personnage) ce qu’il pourrait faire.  Au fur et à mesure des mois, il avait tellement de lecteurs sur son blog qu’il a publié le livre en numérique puis en version papier, et il fut vite propulsé en tête des ventes aux US. Ce fut également un succès populaire unique (4.6/5 sur près de 8000 reviews sur Amazon.com). Le livre a tout de suite capté l’attention d’Hollywood et Ridley Scott est en train d’en tourner l’adaptation, avec Matt Damon dans le rôle de Mark Watney (sortie prévue aux US fin 2015). Certains passages comportent des longueurs mais c’est globalement un coup de génie. Pas lu, de thriller « hard science fiction » aussi bon depuis la trilogie Mars la Rouge, Mars la Verte et Mars la Bleue de Kim Stanley Robinson.

En lisant ce livre, j’ai été évidemment frappé par les ressemblances nombreuses avec Siècle bleu (au moins avec les parties où Paul Gardner se bat pour survivre seul sur la Lune), mais Seul sur Mars est beaucoup plus technique et moins philosophique. Ce n’est pas un livre à « message », juste un thriller exceptionnel.

Du coup, ça m’a décidé à enfin tenter la traduction de Siècle en anglais J Je vais prendre des rendez-vous avec des traducteurs potentiels dans les prochaines semaines. Si vous en connaissez, let me know. Il y a deux ans, je suis entré en discussion avec une maison d’édition américaine très intéressée, mais depuis un an plus de nouvelles. C’est la vie. Je vais tenter l’aventure à mes frais car avec le numérique, il n’est plus vraiment besoin – dans le cas de traductions – vraiment d’un éditeur (sauf pour la promotion) et cela donnera de toute façon accès au livre à un public beaucoup plus large et peut-être plus réceptif que le public français (à titre d’illustration Seul sur Mars connaît un succès similaire à celui de Siècle bleu, beaucoup de lecteurs très satisfaits mais pas un « best seller »).

Si vous êtes fans de science et d’espace, ou juste fans de thrillers, en tout cas ce livre est pour vous.

Des centaines de millions de dollars, pour un pauvre botaniste. Mais pourquoi ?
Je sais pourquoi. Pour commencer, parce que je représente le progrès, la science et l’avenir interplanétaire auxquels nous aspirons depuis des siècles. Et puis – et peut-être est-ce la raison principale – parque les êtres humaines ne peuvent s’empêcher de s’entraider. C’est instinctif. On peut en douter parfois, mais c’est la vérité.
Quand un randonneur se perd dans la montagne, les gens organisent et coordonnent des recherches. Quand il y a un accident ferroviaire, les gens font la queue pour donner leur sang. Quand un tremblement de terre rase une ville, l’aide afflue de toutes les régions du mone. C’est une attitude si fondamentalement humaine qu’on la retrouve dans toutes les cultures, sans exception. D’accord, il y a des connards qui se moquent de tout, mais sont noyés dans la masse de ceux qui se soucient de leur prochain. Voilà pourquoi j’avais des milliards de personnes de mon côté.

C’est cool hein ?