L’enquête de Thierry Colombié sur l’assassinat du juge
Michel en 1981 à Marseille nous révèle certains éléments à l'origine des dysfonctionnements actuels de la France.
Pierre Michel était un magistrat d’une grande intelligence débarqué dans la cité phocéenne et qui s’était donné comme objectif de la « nettoyer » du crime organisé. Or celui-ci y était profondément enraciné depuis l’avant-guerre et les excès de zèle du juge n’ont pas été tolérés. Comme le dit Thierry Colombié : « Pour sa hiérarchie et les hauts fonctionnaires du ministère parisien, la lutte contre le crime organisé n’était pas une priorité absolue, loin s’en faut ».
Pierre Michel était un magistrat d’une grande intelligence débarqué dans la cité phocéenne et qui s’était donné comme objectif de la « nettoyer » du crime organisé. Or celui-ci y était profondément enraciné depuis l’avant-guerre et les excès de zèle du juge n’ont pas été tolérés. Comme le dit Thierry Colombié : « Pour sa hiérarchie et les hauts fonctionnaires du ministère parisien, la lutte contre le crime organisé n’était pas une priorité absolue, loin s’en faut ».
Persuadé que la French connection (tombée dix ans plus tôt) n’avait pas disparu, il partit à la chasse des derniers
laboratoires de fabrication d’héroïne clandestins (avec toujours en toile de fond la DEA américaine créée en 1973 et engagée dans ce combat).
Peu à peu son enquête mit à jour des liens entre le « milieu » et le
financement des partis politiques (1981 est une année électorale), ainsi que
les caisses noires – sur fond de réseaux francs-maçons – du fameux SAC (service
d’action civique, organisation au service du général de Gaulle puis de ses
successeurs gaullistes) dont la fonction était « de fournir gros
bras et colleurs d’affiche, assurer la sécurité des meetings politiques,
surveiller opposants et détracteurs, surtout des représentants de la justice
aixoise et marseillais refusant de marcher droit. Sans oublier les deux axes du
Service : accentuer la pression sur les étrangers et les indicateurs,
quitte à les torturer ; alimenter la pompe à fric clandestine tant pour
régler les faux frais des cadres du Service que pour constituer un trésor de
guerre ». Après l’élection de
Mitterrand, le SAC était en pleine ébullition et prêt à tout pour faire
disparaître ses traces et s’opposer aux « Rouges ». Thierry
Colombié revient sur la tuerie d’Auriol, où des individus du SAC avaient
exterminé toute la famille d’un des leurs, y compris sa femme et son jeune
fils. C’est l’une des scènes les plus fortes de ce livre et ce massacre conduisit
d’ailleurs au démantèlement du SAC par la gauche.
Les nettoyages post-électoraux impactaient aussi la mairie
de Marseille qui était (et est probablement toujours) une gigantesque
blanchisseuse (par exemple via la CEGM, groupe d’entreprises vivant
essentiellement des marchés publics, cœur du système de corruption à Marseille,
en France et partout dans le monde) permettant de faire vivre un écosystème
très vaste et nébuleux. La curiosité du juge déplaisait donc à beaucoup de monde
et menaçait les réseaux souterrains mis en place depuis l’après-guerre.
Marseille était aussi à cette époque déchirée par la guerre intestine entre le
clan de Gaëtan Zampa (« Tany ») et celui son ex-ami Jacques Imbert
(dit « Jacky le Mat », signifiant le fou en provençal) qui fit
plusieurs centaines de morts (et disparus), sur fond d’interdiction par la
gauche des cercles de jeu. Le juge Michel a eu le malheur de se trouver au
mauvais moment au mauvais endroit, au cœur de ce marigot. L’ordre de son exécution
aurait pu venir de tous mais il est finalement venu de François Girard, un
chimiste et trafiquant (associé aux Libanais de la plaine du Bekaa et à Roberto
Pannunzi de la ‘Ndrangheta qui deviendra le premier trader mondial de cocaïne)
incarcéré aux Baumettes et qui voyait d’un très mauvais œil le juge relier
différentes affaires dans lesquelles il était impliqué.
Gaston Defferre, devenu ministère de l’Intérieur de
Mitterand, avait déclaré : « on ne tue pas les juges à
Marseille » après l’assassinat du juge Renaud (dit "Le shériff") à Lyon en 1975 qui avait eu
un destin similaire pris lui entre les affaires du SAC et de celles du gang des
Lyonnais.
Le livre de Thierry Colombié fait du bien car il permet de
resituer cet événement majeur dans un contexte très complexe que l’histoire et
le cinéma ont tendance à simplifier (comme ce sera certainement le cas avec la
sortie en décembre du film « La French » avec Jean Dujardin – dans le
rôle du juge Michel - et Gilles
Lelouche – dans le rôle de Gaëtan Zampa). Le monde interlope dans lequel se
croisent criminels et politiques est la fondation gangrénée de notre société et
il obéit à des règles relevant plus des pulsions et des bas instincts humains,
que de la logique. Si on n’intègre pas ces dimensions, impossible de comprendre
ce qui se passe.
A noter que le livre de Thierry Colombié s’ouvre sur la rencontre à Palerme
entre le juge Pierre Michel et Giovanni Falcone (les deux martyrs de la lutte
anti-mafia qui m’ont servi de modèles pour mon personnage de Fernando Salazar –
le père d’Abel – tué lui par les cartels mexicains pour défendre les intérêts
d’un groupe financier occulte américain) et s’achève par l’assassinat du juge (voir ces images du journal télévisé sur le site de l'INA).
Pour les lecteurs attentifs d’Ombres et Lumières, dans l’épilogue final qui se déroule à Marseille, Lucy et Abel
remontent l’avenue du Prado (P. 533) en direction des Calanques et passent
devant la cité radieuse dessinée par l’architecte Le Corbusier (surnommée « la maison du
fada ») et devant laquelle fut abattu Pierre Michel, à 38 ans, par deux individus à moto, comme Fernando Salazar.
"Si la société est pourrie, on a beau la combattre, cela revient à combattre une hydre qui a des milliers de têtes. On en coupe quelques-unes mais il y en a toujours deux ou trois qui renaissent. Je me sens davantage désabusé par la société, par cette gangrène qui nous mine. Finalement, on a les truands qu'on mérite. En cela, certainement, Pierre et mort pour rien."
Bernard Michel, avocat et frère du juge Michel.