samedi 11 juillet 2015

Synchronicités, Gilbert Sinoué et la genèse de Siècle bleu


Depuis la lecture, il y a presque vingt ans, de l’admirable Livre de Saphir, Gilbert Sinoué fait partie de mes écrivains favoris. Chacun de ses livres est fondamentalement différent (ce qui est rare pour un écrivain), extrêmement documenté et constitue une véritable expérience pour le lecteur. Parmi mes grands coups de cœur, je citerais sa biographie d’Akhenaton, L’Enfant de Bruges, sa biographie romancée d’Avicenne, Les Nuits du Caire (livre auquel j’avais consacré un billet sur ce blog), mais surtout Des jours et des nuits, roman paru en 2001 qui mêlait archéologie grecque et psychologie jungienne autour d’une très belle histoire d’amour.

Gilbert Sinoué vient de publier fin juin un essai intitulé « Le petit livre des grandes coïncidences », qui traite du thème-  qui m’est particulièrement cher - des synchronicités, ces coïncidences troublantes qui surviennent dans votre vie et lui donnent soudain un nouveau sens. Il nous livre une centaine d’histoires troublantes qu’il a récoltées, des malédictions successives autour de la voiture de James Dean au drame du Titanic, mais aussi des séries de hasard ahurissants menant aux plus grandes histoires d’amour. Ou aussi Mark Twain qui naquit deux semaines avant le passage de la comète de Halley et mourut deux jours après son prochain passage et qui l’avait déclaré un an plus tôt.


Au delà de ces récits, l’ouvrage est une réflexion profonde sur la nature et la signification de ces synchronicités. A partir de textes des plus grands philosophes et de l’analyse de concepts scientifiques comme le paradoxe EPR sur l’intrication quantique (imaginé par Einstein et démontré par le français Alain Aspect en 1981), Gilbert Sinoué nous amène à nous interroger sur ces phénomènes très difficilement analysables par la science moderne dans la mesure où celle-ci ne peut s’intéresser qu’à des phénomènes répétés et reproductibles en laboratoire. Pourtant, ces phénomènes existent et influent sur nos vies.

Ma vie a été parsemée de ces synchronicités et je crois en leur pouvoir de transformation, même si j’ignore les lois qui les régisssent. C’est un des thèmes récurrents que j’aborde dans Siècle bleu et il figure d’ailleurs dans l’avertissement en ouverture du roman.

AVERTISSEMENT

Tous les personnages de ce roman sont fictifs à l’exception des personnages historiques cités. Toute similitude avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, serait donc une pure coïncidence. Les curieux événements qui ponctuent ce récit doivent cependant beaucoup à certaines coïncidences, aussi appelées synchronicités, dont on pourrait longtemps débattre du caractère fortuit ou inéluctable.

Dans l’épilogue du second tome, Ombres et Lumières, je donne une clé sur ces phénomènes que j’aimerais continuer à analyser dans le troisième tome si celui-ci voit le jour (trop de choses toujours à comprendre sur le monde actuel et à venir pour me lancer dans l’écriture).

Je suis intimement persuadé que si l’on est ouvert à ces signes, ils peuvent changer notre vie. Juste une anecdote troublante qui a conduit à la Genèse de Siècle bleu. Fin 2005, j’étais dans une librairie à Paris et la couverture bleue d’un livre m’interpelle : « Le Rêve de White Springs » de Michèle Decoust. Je lis la quatrième de couverture qui semble parler d’un projet utopique en Australie qui ressemble à Biosphere 2, ce projet de biosphère artificielle au cœur du désert d’Arizona qui m’obsède depuis l’adolescence et où je m’étais rendu en 1999 (cf. cette série d’articles sur mon blog).


A cette époque là, je commençais à écrire ma saga Siècle bleu dont une partie de l’intrigue se déroule justement là-bas et j’essayais dans cette phase de documentation de comprendre les raisons qui avaient conduit à l’arrêt de ce projet extraordinaire. Et là, ô surprise, je découvre en quatrième de couverture, que Michèle Decoust a travaillé sur le projet Biosphere 2 en tant que documentaliste (j’apprendrais plus tard qu’elle était la petite amie de l’architecture de Biosphere 2). Je lis le livre qui m’enthousiasme  et pour la première fois de ma vie j’écris un auteur pour le rencontrer. Une première (très) brève rencontre a lieu début 2006 lors d’une conférence qu’elle donnait. Quelques mots d'échange seulement mais un lien capital s'était établi.

Pendant deux ans, nos agendas ne nous permettent pas de nous voir (surtout le sien, elle voyageait à travers le monde en tant qu’ethnobotaniste) et finalement je la rencontre début 2008. A cette date j’avais fini la lecture du premier tome et j’étais à la recherche d’un éditeur. Nous parlons longuement de Biosphere 2 puis je lui parle de mon manuscrit qui fait complètement résonance à ses propres aspirations, expériences et réflexions. J’avais le manuscrit avec moi, elle passe la main dessus, elle ressent beaucoup d’énergie mais me dit qu’il faut certainement le retravailler. Faisant toujours attention aux signes et à ne pas forcer le destin, je n’insiste pas pour lui faire lire et effectivement dans les mois qui suivent j’essuie plusieurs refus cinglants d’éditeurs (notamment des éditions Albin Michel, auprès desquelles m’avait introduit mon ami Bernard Werber avec qui j’avais travaillé pendant deux ans en 1996 et 1997, cf. cet article sur mon site) qui faillirent me faire perdre espoir. 

Michel Decoust m’avait néanmoins mis en relation avec Laurent Laffont, patron des éditions JC Lattès (l’éditeur - entre autres - du Da Vinci Code) pour lequel elle a écrit un roman, et quelques semaines après la réponse d'Albin Michel je reçois un message téléphonique de celui-ci. Je passe une heure au téléphone, il avait lu tout le livre qui lui avait plu mais qu’il trouvait imparfait sur certains plans. Il m’invite à le reprendre et à développer justement les parties concernant le chamanisme et les synchronicités.

Sans ce retour et la rencontre avec Michèle Decoust, je n’aurais peut-être pas continué l’aventure. Piqué par les critiques d’Albin Michel et motivé par ce retour de Lattès, je me mets au travail et réécris complètement le premier tome (le second n’étais pas écrit) et je vois peu à peu apparaître la vraie histoire que je voulais raconter inconsciemment. Fin 2008, je le renvoie à Laurent Laffont et malgré quelques relances je ne reçois aucune réponse. Je revois Michèle Decoust début 2009 et celle-ci me voyant dépité, décide de lire enfin mon manuscrit. Elle est enthousiasmée et me dit de l’envoyer à Jacques Binsztock, l’un des éditeurs au Seuil qui vient de monter sa propre maison d’édition et qui avait publié justement Le Rêve de White Spring. Celui-ci le lit dans la journée et me rappelle enthousiasmé. C’est avec lui qu’un an plus tard Siècle bleu sortira. Au moment de la sortie, je discute avec lui de son parcours et il me dit qu’auparavant il était chez Albin Michel et qu’il avait été le découvreur de …. Bernard Werber ! Autre hasard, l’attachée de presse qu’il embaucha pour Siècle bleu était – par hasard – aussi l’attachée de presse de Werber. Siècle bleu n’a pas eu le même succès ques Les Fourmis, mais il m’a permis de faire des rencontres extraordinaires et toujours troublantes, comme s’il s’agissait de personnes que je connaissais depuis toujours.

En 2010 par exemple, je rencontrais via Michèle Decoust deux des participants à l’expérience Biosphere 2 : Abigail Alling et Mark Van Thillo. En discutant avec eux, je leur parle d’une scène du tome 1 où le héros Abel réalise une expérience chamanique avec de l’ayahuasca, concoction faite de deux plantes magiques pour les Indiens, qu'il cueille à l'intérieur de la serre de Biosphere 2. Ils me regardent hagards et effectivement c’était l’un des grands secrets de Biosphere 2 : ils avaient fait pousser de l’ayahuasca dans la forêt tropicale sous la serre !!! Je lui raconte la suite de la scène où le héros s’introduit dans l’océan de la biopshère artificielle et réalise un voyage astral en s’installant dans la coque d’un tridacne géant, le plus grand des coquillages. Là aussi espoutouflés, ils me disent qu’il y avait bien un tridacne géant dans l’océan de Biosphere 2 et me montrent une vidéo où il apparaît... Je n'en avais aucune idée et je pourrais multiplier les exemples de ce type à l’infini.



Ce sont donc quand même des coïncidences extraordinaires induites au départ par mon attachement à Biosphere 2, projet construit au milieu des territoires indiens et qui possède une très forte énergie mystique, qui ont conduit à la forme finale et la publication de Siècle bleu. Sans ce livre croisé au hasard dans une librairie, le cours de ma vie aurait été autre.

Le plus fou, c’est que « Le Rêve de White Spring » avait été édité en mai 2004, soit 18 mois avant que je ne le vois dans les rayons de cette petite librairie (disparue depuis). Quand on sait qu’au bout de 3 mois, les libraires renvoient les livres, c’est une coïncidence inouïe et surtout que sa couverture était bien visible dans les linéaires, comme s’il s’agissait d’un choix du libraire. Un jour je lui avais d’ailleurs demandé s’il avait aimé ce livre, et il m’a dit qu’il ne le connaissait pas !!! Comme si une puissance mystérieuse l’avait placé là pour m'aider à aboutir mon projets.

Les synchronicités ont donc un rôle étonnant, tout comme ces actes manqués ou rencontres ratés, ou énormes problèmes qui nous survient (perte d'ordinateur ou d'un autre objet) dont on ne perçoit le sens caché que bien après et qui relèvent exactement du même phénomène. Par exemple, si nous n'avions pas eu de multiples problèmes d'agenda et si j'avais rencontré Michèle Decoust deux ans plus tôt en 2006 plutôt que 2008, cette rencontre n'aurait pas du tout donné la même chose du tout car Siècle bleu n'aurait pas encore été écrit. A méditer.

Pour finir, quelques citations remarquables de l’ouvrage Gilbert Sinoué, qui expriment bien tout ce que je ressens :

« Il existerait donc entre tous les évènements de la vie d’un être humain deux sortes de liens : d’abord, une « connexion objective », conséquence d’une cause, et qui fait partie du cours naturel des choses, et une « connexion subjective », qui n’existe que par rapport à l’individu qui vit ces évènements. »

« Ce qui laisse entendre que souvent l’inconscient en sait plus que la conscience »

Il cite aussi Avicenne, le père de la médecine auquel il a consacré un ouvrage :
« L’âme possède une certaine faculté de modifier certaines choses, et celles-ci lui seraient assujetties. Cela survient lorsqu’elle est entraînée dans un grand excès d’amour ou de haine ou de quelque autre chose d’analogue. Ce qui voudrait dire que, lorsque notre âme tombe dans un grand excès d’une quelconque passion, on constate par expérience qu’il (l’excès) relie les choses (de façon inexplicable, voire magique) et les modifie dans le sens où précisément il tend ».

« L’interrogation du Yi-Jing créerait une synchronicité entre l’état de conscience du consultant préocuppé par son problème et la réponse du Yi-Jing obtenue par un procédé aléatoire »

« Sceptique au début, je suis persuadé aujourd’hui que rien de ce qui fait la vie n’est isolé. Chaque pierre, chauqe parcelle de l’univers est en perpétuelle interaction. Ce n’est pas une réalité scientifique, j’en conviens, mais se limiter à cette seule réalité, c’est priver notre existence d’une richesse non négligeable »

Il cite aussi le maître Zen Taïsen Deshimaru :
« Votre posture de méditation influence le monde entier »

« Les travaux d’Einstein l’amenèrent à se demander ce qui pouvait bien se cacher derrière la nature de l’Univers. Selon lui, « le sentiment religieux du scientifique prend la forme d’une stupéfaction profonde devant l’harmonie des lois de la nature. Elles révèlent une intelligence d’une telle supériorité qu’en comparaison toutes les pensées et actions systématiques des êtres humains sont une réflexion tout à fait négligeable ».

« Au risque de faire sourire, j’ai parfois l’impression que la substance de toute chose est inscrite en nous et que, parfois, dans des moments privilégiés, s’ouvre une brèche ».

« Je pense – mais évidemment sans pouvoir le prouver – que dans la vie il n’y a pas vraiment de hasard, mais un projet dont nous ne saisissons ni les contours ni la finalité ».

« Des recherches ont démontré que les êtres qui accordent fois à ces fameux signes ont tendance à se montrer plus confiants dans l’avenir, à vivre plus détendus. Chacune de leurs expériences, mêmes les plus anodines, les conforte dans ce sentiment. Ils « savent » que quelque chose va survenir. Ils savent que quelque part, en un point précis du chemin, une porte va s’ouvrir, une main se tendra. Ils « pressentent » que parmi les infinies possibilités, le numéro gagnant qu’ils espéraient tant finira par sortir. A la différence des sceptiques, ces êtres-là vivent dans l’optimisme. Les croyants appelleront cela la foi ».

« Serait-il concevable que certains événements de notre vie soient … truqués ? »

« Il arrive qu’une série de correspondances inhabituelles ou d’évènements similaires ne forment pas une pure coïncidence mais une coïncidence signifiante. Cette « synchronicité » est parfois ce que nous attendions pour nous pousser à des changements et des éveils. Ces moments synchrones nous soufflent d’être attentifs à ce qui se produit, ou va se produire sous peu, dans notre parcours. De ce point de vue, les pires épreuves de la vie peuvent se révéler des transitions favorables, et les ruptures n’être que des étapes.
Si nous faisons nôtre ce raisonnement, nous comprenons que les gens, les lieux et les évènements nous montrent ce que  nous avons besoin de savoir, et la direction que nous devrions emprunter. Chaque être et chaque chose sont dès lors porteurs d’un sens. Et le mieux serait donc d’y adhérer délibérément au lieu de tenter de résister, de nous plaindre, ou d’avoir peur. Parfois, tout se déroule dans notre vie exactement comme nous l’avions prévu. Puis nous rencontrons quelqu’un, nous découvrons quelque chose, nous avons un accident, nous sommes victimes d’une maladie, nous touchons le fond et notre monde pivote dans une nouvelle direction qui fera, à l’arrivée, toute la différence. Ces évènements imprévisibles et qui échappent à notre contrôle font de nous ce que nous sommes, et ce que nous devions être depuis toujours ».

Une autre citation qui colle bien à mon expérience :
« Ce sortilège qui permet à un lecture de trouver très précisément et parmi des centaines d’ouvrages celui qui recherche est assez surprenant. Arthur Koestler lui a donné un nom : « L’ange des bibliothèques » ».

« En résumé, on peut affire sans crainte qu’une longue chaîne de coïncidences a conduit inexorablement à la vie sur Terre ».

« Arthur Koestler qualifiait les coïncidences de « calembours du destin ». Wolfgang Pauli, lui, pensait qu’elles représentaient « les traces visibles de principes introuvables » ».

« Nous ne sommes pas destinés à être éternellement heureux ou malheureux. Nous avons la possibilité de modifier la donne et de créer des renversements en utilisant les opportunités que le hasard vous présente ».

« Albert Einstein notait : « La plus belle expérience que nous puissions faire est celle du mystère de la vie. C’est le sentiment originaire dans lequel tout art et toute science véritables prennent eur source. Quand on ne le connaît pas, quand on ne sait plus s’étonner, s’émerveiller, c’est comme si l’on était mort, le regard éteint ».


« Nous ne savons pas forcément en quoi ce qui arrive maintenant a sa place dans notre avenir. Nous ne savons pas si les choses qui nous affligent sont ou non le commencement secret de notre bonheur ».