mardi 24 novembre 2009

Animal Spirits


Sorti en février 2009 aux Etats-Unis (juste après le début de la crise financière), Animal Spirits est un livre de vulgarisation économique qui aura, je l’espère, un réel impact.


Ecrit par deux émérites chercheurs, George Akerlof (Berkeley, prix Nobel d’économie 2001 et chef de file des économistes du comportement dits « behaviorists ») et Robert Shiller (Princeton), cet ouvrage très plaisant à lire et plein d’espoir revisite les théories classiques de la macroéconomie et nous donne un éclairage neuf (au moins pour un novice comme moi) sur les crises actuelles. Les auteurs nous apprennent que la pensée de Keynes a été simplifiée (à dessein) par les libéraux et mal interprétée ensuite par les politiques et les décideurs. Il est un bon contrepoint à mon article Les Economistes ont–ils perdu le bon sens ?, car ces économistes-là n’en manquent pas, bien au contraire !


Pour simplifier leurs propos, les classiques dans la lignée de Smith pensent que le marché parfait peut assurer l’emploi plein sans aucune intervention de l’Etat. A l’autre extrême, les communistes jugeaient que l’Etat devait au contraire gérer tous les emplois pour parvenir à ce plein emploi. Dans son monument The General Theory of Employment, Interst and Money, Keynes adoptait une position plus modérée car l’économie humaine était loin d’être un marché parfait et qu’une grande partie des décisions étaient gouvernées par l’animal spirit (c’est-à-dire l’instinct animal « à la Jack Welch », l’ancien patron de General Electric). Pour lui ces instincts étaient responsables des principales fluctuations dans l’économie et étaient responsables du chômage résiduel. Leur existence conduit à la question du rôle du gouvernement que les auteurs comparent à celui des parents dans l’éducation des enfants : le gouvernement doit intervenir un peu pour donner un cadre mais pas trop pour ne pas gêner l’expression de la créativité et de la singularité des enfants. En gros les parents doivent maintenir une « happy home » qui doit donner de la liberté aux enfants mais surtout les protéger de leurs animal spirits. Si le gouvernement ne fait pas cela, le capitalisme pur aboutira à des coups de folie voire à des moments de panique


Malheureusement dans la reprise ultérieure des travaux de Keynes, on a très souvent oublié de reprendre cette mise en garde sur l’existence des animal spirits, et la distance entre les idées de Keynes et de Smith s’est considérablement atténuée. A tel point qu’aujourd’hui dans la plupart des modèles, les imperfections inhérentes à la psychologie humaine ont été supprimées et de nombreux économistes sont même prêts à défendre que leur rôle est de toute façon mineur voire nul. Ce n’est pas du tout le point de vue des auteurs, ni le mien d’ailleurs.


On se retrouve donc aujourd'hui avec une pensée dominante qui vante le marché totalement « marché libre » avec un gouvernement qui doit intervenir de temps en temps quand le marché atteint des accès. La prédominance de ce mode de pensée a d’ailleurs été accentuée par la chute du communisme qui a eu pour conséquence de supprimer tout débat sur la pertinence du modèle capitaliste, comme l’explique très bien Amin Maalouf dans son livre Le dérèglement du monde : Quand nos civilisations s'épuisent. Pour les auteurs, c’est comme si des parents avaient laissé leurs enfants se droguer (en pensant naïvement qu’ils ne le feraient jamais car une théorie « ambiante » et admise de tous l’affirmait) et qu’ils intervenaient de temps pour leur donner de l’argent pour acheteur leur came. J’avoue que l’image me plait beaucoup. Le concept plein de bon sens d’ « happy home » a donc été oublié en chemin et explique en grande partie la crise actuelle. CQFD.


Pour les auteurs, et s’il n’est pas encore trop tard, il faut revoir tous les modèles économiques en remettant la psychologie humaine au cœur des modèles et notamment : la confiance, l’équité, la corruption et le comportement anti-social, l’illusion de l’argent, notre histoire et celle de la société dans laquelle on évolue.


Avec ces quelques « variables » supplémentaires, ils arrivent donc à apporter un éclairage sur des imperfections structurelles de notre société : pourquoi y-a-t’il des dépressions ? Pourquoi certaines personnes ne trouvent elles pas de travail ? Pourquoi le marché de l’immobilier évolue t’il par cycles ? etc.


Il va sans dire que beaucoup d'économistes effrayés par le bon sens ont trouvé ce livre sans intérêt. Si vous aviez aimé Freakonomics, ce livre vous enchantera certainement. A lire d’urgence.

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