lundi 27 septembre 2010

René Barjavel : un penseur à redécouvrir


René Barjavel est l'un des écrivains que j'aime le plus. Tous ses livres m'ont fait rêver, pleurer et réfléchir. Je dois à cet incroyable raconteur d'histoires mon goût pour l'écriture.
Barjavel est unique dans le paysage littéraire car il n'a jamais écrit deux fois le même livre et s'est essayé à tous les genres. On le connaît pour ses récits d'anticipation (La Nuit des Temps, Ravage, Le Voyageur Imprudent), ses fictions historiques (Tarendol par exemple, ou Le Grand Secret qui a énormément inspiré Siècle bleu avec ce côté rétro-fiction qui revisite l'histoire avec des personnages imaginaires mêlés à des personnages réels), mais aussi L'Enchanteur (sans doute le meilleur livre sur les légendes arthuriennes) ou Les Chemins de Katmandou, une histoire d'amour extraordinaire.

René Barjavel n'a pourtant pas écrit que des romans. Il a également commis des essais exceptionnels. Le meilleur d'entre eux est intitulé La Faim du Tigre. Très peu de gens connaissent ce livre paru en 1966 et pourtant c'est (pour moi) l'un des livres les plus importants et les ambitieux jamais écrit. En 200 pages, l'auteur nous livre une histoire de la vie sur Terre, une histoire du genre humain et l'une des analyses les plus lucides de notre espèce et de notre société. Il n'y a pas une ligne à jeter.
Prenez par exemple ce passage sur les religions (qui pourrait s'appliquer à beaucoup d'autres domaines comme nous le verrons à la fin de ce post):
Les prêtes ont reçu la clé de l'alphabet et la mission de la transmettre.
Malheureusement, ils l'ont perdue en chemin.
Une religion est comme un enfant que son p!ère a envoyé porter un message à l'autre bout de la ville. Pour ne pas l'oublier, pour ne pas se tromper, l'enfant a appris le message par coeur et l'a répété mille fois en chemin. Peu à peu le message a pris le rythme de sa respiration, de ses pas, a perdu ses points, ses virgules, ses mots, et quand il est enfin délivré à son destinataire par la bouche qui l'a moulu tout le long de la route, il n'est plus qu'une suite de syllabes sans articulation ni signification.
Tout y est pourtant. Il suffit peut-être de bien écouter pour retrouver les mots et la phrase. Ce n'est peut-être pas impossible.
Ou celle-ci sur la violence dans le vivant (qui permet de relativiser ou du moins de comprendre un peu mieux la violence entre les être humains):
Pourquoi, pourquoi cette atroce bataille, sans répit, du vivant contre le vivant ? Ce qui se passe dans le silence des océans est d'une telle atrocité que nous nous défendons d'en prendre conscience. (...)
Pensez un peu au sort du poisson avalé ! Faites un effort d'imagination. Essayer de sentir que vous êtes à sa place... Vous voilà coincé vivant dans une tripe froide d'où suintent des acides. (...) Non, vous ne mourrez pas si vite, ce serait trop doux, vous serez digéré vivant par toute la surface de votre peau. Vous pouvez pas crier, vous êtes muet, vous n'avez rien à dire...
Si tout à coup la surface bleue des eaux au bord desquelles nous vautrons notre indifférence était percée d'un cri à la mesure de la somme de souffrance qu'elle dissimule, l'intensité de cette plainte, la violence de ce reproche seraient telles que toute l'eau des océans suivrait, volatilisée à la face de l'Organisateur.
Il a également écrit Lettre ouverte aux vivants qui souhaitent le rester (1978) qui est le texte le plus clair sur la crise énergétique inéluctable qui guette l'humanité. Dans ce pamphlet non réactionnaire, il explique la fin du pétrole, le recours (transitoirement inéluctable) au nucléaire et surtout la nécessité d'en sortir rapidement pour se tourner vers les énergies renouvelables. Trente ans plus tard, la France essaye (avec beaucoup de mal) de relancer un plan nucléaire et fait le minimum syndical pour les énergies renouvelables. Ce n'est pas un honneur que nous rendons à ce grand écrivain.

L'absurde n'est pas que chez nous : en Allemagne, en Belgique, aux Etats-Unis, en Chine, en Inde et partout ailleurs, on étend la durée de vie des centrales, on en construit de nouvelles et on imagine l'avenir énergétique qu'à travers le nucléaire. Au lieu d'imaginer aussi les futures technologies dont a besoin notre planète, on va investir des sommes massives à redécouvrir la roue (toxique). En effet, un peu comme dans le cas de la NASA avec les vols lunaires ou le cas des religions évoquées plus haut, les ingénieurs savent faire fonctionner des centrales mais ont oublié les secrets de leurs pères et de leurs grands-pères. Ces secrets se sont perdus en chemin. Et le premier d'entre eux était que le nucléaire avec ses déchets létaux ne devait être qu'une technologie de transition. Aujourd'hui, on ne parle plus de transition, la France, à grands renforts de litotes sur la dangerosité des déchets, en fait même son fer de lance industriel pour ce XXIème siècle. Si c'est ça le progrès, de quel progrès parle-t-on ? Du progrès d'une civilisation qui n'a plus d'imagination ou qui ne croit plus en son avenir ? Où est passé la grande réflexion du Grenelle ? Wake up !
Ayons le courage de reconnaître que nous n'avons rien fait pendant trente ans et investissons au moins à parts égales dans les technologies nucléaires et les énergies renouvelables. C'est d'ailleurs un peu ce que va faire l'Allemagne où les profits liés à l'allongement de la durée de vie des centrales seront réinvestis dans les énergies renouvelables, en France ils serviront à permettre aux industriels électro-intensifs de bénéficier d'électricité à bas coût !

Aucun commentaire: