mercredi 6 août 2014

Hiroshima, mes cauchemars d'enfants et Siècle bleu



Aujourd’hui, 6 août, marque le triste anniversaire d’Hiroshima. Il y a 69 ans, le 6 août 1945, Enola Gay, lâchait la première et avant-dernière bombe atomique contre des populations humaines. Ce ne sont malheureusement pas les seules à avoir explosé, puisque 2053 tests atomiques ont eu lieu dans l’atmosphère ou sous terre depuis, comme le montre cette incroyable animation qui retrace toutes ces explosions entre 1945 et 1998 (date normalement du dernier test réel avant le passage à la simulation numérique).


En voyant cette vidéo, c’est la première fois que je réalise la folie de cette guerre supposément froide. L’humanité est vraiment passée au bord de l’implosion et malheureusement on a tendance à oublier l’importance de cette menace qui sous-tend toujours les grands équilibres et déséquilibres internationaux (voir par exemple mon post sur la bombe iranienne et les otages français au Liban dans les années 80). La situation en Iran, au Moyen-orient et la montée en puissance de la Russie nous rappellent que cela relève du possible.

Je suis justement né en 1973, j'ai grandi en pleine guerre froide, et la bombe atomique a longtemps fait partie de mes cauchemars récurrents, sans doute animés par la volonté (inassouvie) de mon père de construire un abri anti-atomique dans le jardin ! Je me rappelle notamment d’une nuit où j’avais réellement vu/senti le feu nucléaire inonder de lumière le ciel chez mes parents et submergeait la petite colline qui nous faisait face avant de tout brûler (dont moi). J'ai ce souvenir viscéralement inscrit et je me dis qu'il faut tout faire pour éviter à nouveau le feu nucléaire. 

L'ombre portée du risque nucléaire est présente dans toute l'intrigue des tomes 1 et 2 de Siècle bleu (bouclier antimissile, déroulement de l'action près des grands sites US nucléaires de Santa Fe ou Alamogordo). Afin d'expier cette vision du futur, j'avais décidé - après de longues réflexions - de commencer le tome 2 de Siècle bleu par un bombardement atomique. Pour moi l'ambition du livre fut alors de montrer qu'en commençant aussi bas, l'humanité pouvait quand même s'en sortir.  

Après avoir écrit ces chapitres, mes cauchemars atomiques se sont bizarrement arrêtés. De la même manière qu'après le 11 septembre mes cauchemars récurrents d'être dans un avion qui se crashe dans les tours d'une ville se sont arrêtés... Rassurez-vous je ne fais plus trop de cauchemars (à part des poursuites), donc tout va bien aller dans le futur :-) 



Pour fêter l'anniversaire d'Hiroshima, voici les deux premiers chapitres qui traitent de cette explosion, en espérant que cela n'arrive jamais. Et également la musique qui a accompagné leur écriture : "The Sky was Pink" de Nathan Fake (remixé par Paul Kalkbrenner).



Jour 1, Plaines de San Agustin, Nouveau-Mexique, États-Unis.

Lucy fut réveillée par une migraine intense. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer l’endroit où elle se trouvait : au cœur d’une haute plaine du Nouveau-Mexique, à l’intérieur d’une voiture. Le moteur tournait au ralenti. Une chaleur sèche et étouffante s’échappait du système de ventilation. Elle baissa le chauffage et avala une gorgée d’eau minérale. Les voyants du tableau de bord éclairaient le visage d’Abel, son mari, profondément endormi. Elle regarda sa montre : il était presque six heures. À travers le pare-brise, on ne distinguait rien. Le monde extérieur s’était évanoui.
Lucy avait besoin de se dégourdir les jambes et l’esprit. Elle essaya d’ouvrir la portière, mais celle-ci lui résista. Elle donna un léger coup d’épaule pour la débloquer, et sursauta quand une substance molle et glacée lui glissa le long du bras. Il avait simplement neigé. Elle comprit mieux pourquoi elle ne voyait rien : la voiture était recouverte d’une couche de poudre blanche. La jeune femme enfila ses bottes, son blouson et sortit du véhicule. Le ciel était clair à présent, les nuages avaient emporté ailleurs leurs flocons. La Lune, nouvelle, n’était pas visible, mais les étoiles scintillaient et éclairaient de leurs faibles feux la neige, qui s’offrait à perte de vue dans ce cirque naturel. Il faisait froid mais Lucy se sentait bien. Elle n’osait pas avancer de peur de souiller ce grand champ immaculé.
Une étoile filante traversa le ciel, phénomène rare pour une fin d’automne. Lucy fit un vœu. La veille, Abel et elle avaient révélé au monde un mensonge d’État sans précédent, mais les péchés des Hommes avaient maintenant été lavés par la neige. Ils disposaient d’une feuille blanche sur laquelle ils n’avaient plus qu’à écrire l’histoire dont ils rêvaient. Le Siècle bleu imaginé par leur ami Paul Gardner. Tout était possible. Dans le silence de la nuit, Lucy demeura immobile et savoura cet instant.
Elle fit quelques pas pour aller s’allonger dans la neige fraîche. Elle ferma les yeux et se vit étendue au milieu de cette plaine de coton, ses longs cheveux blonds dispersés autour de son visage. Elle eût voulu que cette sensation de plénitude durât toujours.
Dans sa rêverie, le ciel noir s’illumina soudain. Les étoiles disparurent. Les cimes des montagnes qui bordaient le plateau se dessinèrent très nettement, comme éclairées par l’arrière. La lueur se fit de plus en plus intense et, tel un tsunami, elle submergea les crêtes pour déferler dans la plaine. Lucy se protégea les yeux. Elle ne rêvait plus. Le plateau entier était inondé de cette lumière surpuissante.
Elle regarda en direction de la voiture. Abel était sorti. Elle courut vers lui en se protégeant instinctivement le visage. Les yeux de son mari s’étaient transformés. Il fixait cette lumière comme un enfant qui défie le soleil.
Puis l’intensité de la lueur baissa. Alors seulement, ils virent la Chose apparaître dans le ciel devenu rose. Une méduse. Une immense méduse violacée qui s’élevait, au loin, derrière les montagnes, et qui traînait sous elle des tentacules effrayants.
L’avènement du Siècle bleu serait plus difficile que prévu.

Jour 1, Four Corners, Arizona, États-Unis.

Kilchii, l’enfant rouge, se faufila jusqu’au lit de camp où dormait Doli, sa grande sœur.
– Réveille-toi, chuchota-t-il. Il a neigé !
Doli, l’oiseau bleu, eut besoin de quelques secondes pour sortir du rêve, si doux, qui l’enveloppait. Après les révélations de l’astronaute Paul Gardner, la nuit précédente, leur père avait affirmé qu’une ère nouvelle s’ouvrirait bientôt pour le peuple navajo.
– De la neige ? Comment le sais-tu, Kilchii ?
– J’ai regardé sur l’écran de contrôle. C’est tout blanc, dehors.
Certains adultes étaient debout et discutaient dans la grande cuisine. Mais dans le dortoir des enfants, chacun dormait à poings fermés.
– Allez, viens Doli ! insista Kilchii en la tirant par le bras.
Kilchii était un garçon de six ans, espiègle et désobéissant. Doli, de trois ans son aînée, se montrait d’habitude plus raisonnable. Depuis leur arrivée, la veille, dans cette montagne creusée et qui formait un abri gigantesque, seul leur père Hozho était autorisé à sortir. Mais comme la situation s’était améliorée, Doli pensa qu’il n’était plus si grave de quitter le refuge. Elle aussi voulait jouer dans la neige. Son frère et elle avaient l’âge où l’on ne se soucie de rien. Elle arrangea leurs couvertures de manière à faire croire qu’ils étaient toujours couchés, ils enfilèrent leurs habits puis, sur la pointe des pieds, se faufilèrent jusqu’au sas.
Ils actionnèrent le levier dissimulé dans le mur, comme ils avaient vu Hozho le faire. Aussitôt, l’épaisse porte s’ouvrit. Ils traversèrent un premier sas, puis un second. Une fois dehors, ils prirent une grande inspiration. L’air froid de la nuit leur emplit les poumons. Même s’ils avaient beaucoup aimé jouer avec les autres enfants dans l’abri, rien ne valait la liberté. Chaussés de leurs peaux de cuir, Doli et Kilchii se mirent à courir sur la fine couche de poudre blanche. Ils zigzaguaient en s’amusant des traces qu’ils laissaient. La vie était belle, éternelle.
Derrière eux, le sas se referma automatiquement. Ils se regardèrent, hagards. Ils ignoraient comment l’ouvrir. Tant pis. Le moment venu, ils n’auraient qu’à tambouriner, et quelqu’un finirait bien par les laisser rentrer. La punition serait rude, autant en profiter. Ils coururent donc autour de la montagne jusqu’à la cascade qui jaillissait de la roche. Celle-ci était partiellement gelée, mais l’eau de la rivière demeurait vive. Pendant les beaux jours, les deux enfants y venaient souvent avec leur père. Le petit Kilchii, très vif, s’était montré doué pour la nage. Ils trempèrent leurs mains et s’arrosèrent d’eau glacée, riant aux éclats dans la nuit silencieuse. Ils savouraient chaque instant.
Soudain, un sifflement fendit les airs et un objet de feu vint s’encastrer à une vitesse vertigineuse dans l’une des collines voisines. L’explosion fut très bruyante, mais le calme revint vite, à l’exception d’un vrombissement lointain, qui persista. Doli et Kilchii avaient peur. Ils se mirent à courir et se réfugièrent derrière des rochers.
Au milieu du ciel, à quelques kilomètres d’eux, un flash à la blancheur du magnésium perça alors la nuit. Doli et Kilchii lui tournaient le dos. Ils ne virent pas en direct sa lumière aveuglante, équivalente à celle de cent soleils. Protégés par la pierre, ils survécurent à l’onde de choc qui souffla tout sur son passage, mais la déflagration fit exploser leurs tympans.
La lumière dans le ciel se transforma peu à peu en une immense boule de feu. Les deux jeunes enfants, pétrifiés, commençaient à avoir très chaud.
Autour d’eux, la neige avait fondu. L’eau sur le sol s’était mise à bouillir. La chaleur était devenue étouffante. Les habits clairs de Doli avaient disparu, ceux de Kilchii, plus opaques, le couvraient encore. Le petit garçon prit sa sœur par la main pour l’attirer dans la vasque où se déversait la cascade. Doli resta immobile. Sa mâchoire grande ouverte semblait émettre un cri, mais son frère n’entendait rien. Il vit que le large collier d’argent et de turquoise de Doli lui brûlait la poitrine. Kilchii supplia sa sœur de le suivre, mais elle ne bougea pas. Il dut plonger seul, et nagea jusque vers le fond, qui était encore frais. Il retint sa respiration plus longtemps qu’il ne l’avait jamais fait. La température de l’eau ne cessait d’augmenter. D’inquiétantes lueurs multicolores en striaient la surface.
Au bord de l’asphyxie, Kilchii remonta, inspira une grande bouffée d’air vicié, puis plongea encore. Lorsqu’il émergea à nouveau, il s’arrêta un instant. Une lumière irréelle baignait un paysage de désolation. Il chercha sa sœur sur la berge, mais ne trouva qu’un amas fondu d’argent et de turquoise. Doli, l’oiseau bleu, s’était envolée.

Aucun commentaire: