dimanche 4 août 2013

Avis sur La République des Mallettes de Pierre Péan



Normalement sur ce blog je ne commente que les livres que j’ai aimés mais je vais faire aujourd’hui une exception. Je vais vous parler d’un livre qui m’a beaucoup déçu (non par le thème abordé mais par le faible travail fourni par l'auteur) et dont pourtant tout le monde parle : « La République des mallettes » de Pierre Péan (numéro un des ventes sur le palmarès de l’Express dès sa sortie, la semaine dernière).

Cette enquête devait s’intituler initialement « Monsieur Alexandre » et était supposée lever le voile sur un personnage mystérieux : Alexandre Djouhri. Sorte de Rastignac du XXIème siècle, cet homme au charisme unique a grandi à Sarcelles et après un début de carrière dans le grand banditisme, il a gravi les échelons vers les hautes sphères de l’Etat et des grandes entreprises françaises, ce qui est assez unique. Il est (dit-on) l’un des intermédiaires les plus puissants de l’hexagone et fait partie du « cabinet noir » de Sarkozy (après avoir été dans celui de Villepin). Pas une affaire à l’export ne se ferait sans son aide (et ses émoluements), il serait derrière tous les coups bas politiques ourdis depuis une quinzaine d’années et surtout il serait un gros pourvoyeur en fonds pour le financement des partis politiques. Depuis près d’un an, je m’étais intéressé à ce personnage et j’avais lu à peu près tout ce que l’on pouvait trouver sur lui sur le net, mais j’avoue que j’avais été frustré car il y a beaucoup de suppositions et peu de faits. J’attendais donc avec impatience le livre de Péan et je n’étais pas le seul car apparemment l’Elysée était en ébullition ainsi que les services secrets depuis des mois. Pierre Péan était l’homme à abattre et ce livre était « le livre de tous les dangers ».

Je me suis donc lancé avec frénésie dans sa lecture et en le terminant j’ai eu envie d’écrire ce post. Ce livre n’apprend en effet rien de nouveau sur Alexandre Djouhri. 95% des éléments cités étaient déjà connus et Péan n’apporte de plus aucune preuve nouvelle. Dès le prologue, ça sentait d’ailleurs le roussi car il expliquait à quel point Djouhri était un homme discret et un homme dangereux. Personne n’a voulu lui parler (ou alors en off complet) et il n’a trouvé aucune preuve matérielle. On n’écrit pas ce genre de livres sans avoir au moins un témoin de premier plan (anonyme ou non) pour éclaircir la vie du personnage. D’autres ont réussi bien mieux que Péan, par exemple Julien Caumer qui a écrit en 1999 l’incroyable « Les Requins » sur un certain Etienne Léandri, un intérmédiaire tout aussi mystérieux et puissant que Djouhri et à la personnalité également hors-du-commun.

À mon sens, il ne fallait donc pas publier ce livre en l'état et plutôt attendre six mois ou un an, qu’il y ait de vraies choses nouvelles à nous apprendre. Par exemple, si l'auteur avait percé le rôle exact de Djouhri, il aurait là marqué une avancée significative afin d'ébranler ce système destructeur des rétrocommissions. Mais c’est vrai que cette rentrée qui marque le début des débats présidentiels ne pouvait pas être ratée et Fayard, son éditeur, ne s’est pas trompé.

Les seuls chapitres qui m’ont intéressé sont le chapitre 14 « Dans le gang de la banlieue nord » sur les premiers faits et gestes de Djouhri dans le Paris des frères Zemour des années 70 (ceux qui ont inspiré le film Le Grand Pardon), et le chapitre 15 qui relate ses frasques avec Anthony Delon et la guerre contre son père Alain, ainsi que la façon dont il a rencontré en boîte de nuit le fils du directeur général de l’Unesco qui a commencé à le présenter à tous les leaders africains. Sinon dans le reste du livre on n’en apprend pas plus que tout ce qu’ont publié Le Point, Marianne, L’Express, Le Monde et Le Canard Enchaîné depuis un an sur Djouhri. Rien de nouveau donc. Comme il fallait remplir un livre de 460 pages, Péan nous fait un donc un récit de toutes les affaires auxquelles Djouhri aurait participé (sans jamais nous dire exactement le rôle que Djouhri y a joué) : les frégates de Taïwan, l’affaire Clearstream 2, la lutte Villepin-Sarkozy, la libération des infirmières bulgares par Cécilia, l’appel d’offres manqué des centrales nucléaires d’Abou Dhabi, la clique de la GLNF, la guerre Proglio/Lauvergeon… C’est donc au mieux un bon livre pour ceux qui ont hiberné depuis dix ans ou qui n’ont jamais entendu parler d’Alexandre Djouhri.

Le livre a quand même l’intérêt de montrer à quel point le financement des partis politiques a pourri notre pays et une partie de la planète. Au début de cette campagne, cette piqûre de rappel ne fait pas de mal. Pour ma part, je pense qu’il faudrait se poser cette question une fois pour toutes. En effet, on a inventé la démocratie mais on a oublié d’inventer le mode d’organisation/de financement de la société qui permette aux individus et aux partis de survivre et de combattre loyalement les uns contre les autres pour se faire élire. Si on ne statue pas sur cette question cruciale, la démocratie est condamnée (si tant est que celle-ci ait vraiment existé).

Toutes les questions que l’on se pose sur Djouhri demeurent donc à la fin de ce livre. Quel est le rôle exact de cet homme ? Que font ses sociétés à Genève ? Quel service rend-il exactement aux entreprises et à l’Etat français ? Détient-il vraiment 8% de Véolia ? D’où tire-t-il sa grande puissance ? Qui sont ses hommes de main ? Quand on lit Péan expliquer qu’il ne sait pas s'il est millionaire ou multi-milliardaire (ça fait quand même une différence), on s’etonne. Péan est-il ne serait-ce qu'allé en Suisse pour voir où Djouhri vit ? Il ne semble pas.

Monsieur Alexandre reste donc un mystère et si le personnage est aussi dangereux qu’on le dit, on comprend pourquoi il a laissé paraître ce livre et pourquoi Péan est toujours en vie. L'absence d'éléments nouveaux dans ce livre ne blanchit évidemment pas Djouhri, mais le vrai livre sur lui reste donc toujours à écrire.

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