Ce week-end, je me suis rendu à Aix-en-Provence pour assister à la conférence annuelle de l’Institut d’écotechnique aux côtés des créateurs du projet Biosphere 2 que je rencontrais pour la première fois (à l’exception de John Allen, l'inventeur visionnaire de Biosphere 2, et sa femme). J’ai toujours regretté d’avoir été trop jeune à cette époque et de ne pas avoir pu participer à cette épopée. Un rêve d’enfant se réalisait donc un peu en les rencontrant. J’ai trouvé beaucoup d’atomes crochus avec eux et ce petit week-end m’a fait un bien fou même si la plupart de mes interrogations sur notre monde demeure.
Créé en 1974 par John Allen (l’inventeur de Biosphere 2), l’institut d’Ecotechnique a pour objectif de gérer des projets permettant d’analyser l’interaction entre l’homme et différents biotopes par des approches pluridisciplinaires. Ils gèrent aujourd’hui une ferme dans la savane sur la côte Ouest de l’Australie (l’une des zones les moins peuplées au monde), une forêt tropicale à Puerto Rico, un ranch dans le désert du Nouveau-Mexique à Santa Fe, une galerie d’art ethnique à Londres, un bateau expérimental, l’Heraclitus et une magnifique bastide provençale, Les Marronniers, où le groupe organise notamment ses conférences annuelles.
Depuis 1974, des chercheurs prestigieux mais aussi des artistes s’y sont retrouvés pour réfléchir aux relations entre l’homme, la technique et la biosphère. Voir ici la liste et le programme de toutes ces conférences. L’édition de 1982 avait par exemple vu la naissance du concept de Biosphere 2 (dont la construction fut achevée en 1991), la réalisation emblématique mais aussi la synthèse de tous leurs autres projets (NB : Biosphere 2 n’appartient plus à l’Institut, ce que j’avais raconté dans un précédent post il y a deux ans). L’édition 2011 était consacrée à la Méditerranée selon une approche toujours pluridisciplinaire (géologie, biodiversité, histoire maritime et militaire, préhistoire, langages et traditions). Vous pouvez regarder le programme de la conférence ici. Les speechs seront bientôt en ligne, je les ajouterai sur ce blog.
Parmi la soixantaine de participants venus des quatre coins du monde (Australie, Alaska, Puerto Rico, Arizona, Nouveau Mexique, Angleterre, Afrique…), on trouvait les responsables de chacun des projets, des amis de l’institut et quelques invités (je suis venu à la demande de John Allen que j’avais rencontré à Paris avec sa femme pendant l’écriture de Siècle bleu, il y a deux ans). Je n’ai rarement rencontré une audience aussi variée et passionnée, dont l’état d’esprit faisait penser à celui de la Renaissance.
Mark Nelson et John Allen
J’ai par exemple partagé la chambre de Mark Nelson, le président de l’Institut et également l’un des huit « biosphériens » restés deux ans sous la bulle de 1991 à 1993.
Longue discussion poétique avant de se coucher avec cet homme toujours marqué au fer rouge par cette expérience. En écoutant le bruit du mistral dans les feuillages des marronniers, il m’expliquait la frustration de ne pas avoir vraiment eu de vent dans la biosphère et aussi de ne pas avoir pu jouer dans la neige quand l’Arizona disparaissait sous les flocons (si vous voulez en savoir plus sur la vie dans la biosphère, je vous réfère à un autre post où j’avais relaté ma rencontre avec deux autres des huit biosphériens). Nous avons aussi parlé des baobabs du petit prince dont il sera question dans le tome 2 de Siècle bleu.
J’ai aussi passé un très long moment avec Bill Dempster, diplômé de Berkeley et ancien des laboratoires du Department of Energy américain (où j'ai également travaillé). Bill fut l'un des designers de l'Heraclitus et surtout le directeur de l'ingénierie de Biosphere 2. C'est un homme admirable avec une immense culture scientifique et technique, et bien plus encore (CV ici, pour faire taire les fanfarons qui affirment qu'il n'y avait pas de scientifiques dans l'équipe de Biosphere 2). Nous avons beaucoup parlé d’énergies renouvelables et notamment du projet Wind Fuels qu’il suit de près (en gros le projet consiste à utiliser l'énergie des éoliennes pour créer de l'hydrogène par électrolyse et enfin de le combiner au CO2 pour fabriquer n'importe quel hydrocarbure). Longue discussion aussi dans sa voiture sur le thème qui m’obsède depuis longtemps « comment changer ce monde ». Nous étions d’accord sur les constats et également assez accablés par l’ampleur de la tâche. J’ai senti chez lui et les autres, pourtant tous de grands visionnaires, un grand pessimisme sur la situation actuelle. Cela ne m'a pas rassuré. Ils ont passé pour la plupart le cap de la cinquantaine ou de la soixantaine (même le cap des 80 ans pour John Allen) et leurs illusions commencent à se dissiper. Les problèmes d’aujourd’hui sont bien plus complexes qu’il y a 30 ans et ils sont assez désemparés. Il faut qu’une nouvelle génération refasse un point pluri-disciplinaire sur la situation et sur les solutions possibles. Ce ne sera plus à eux de le faire, mais à nous. L’important est de continuer de rêver et de réfléchir.
Concernant leur rêve, ils restent persuadés que Biosphere 2 (appartenant depuis le mois de juillet à l’université d’Arizona qui n’en fait rien d’intéressant et y pratique uniquement des expériences qui brillent par leur réductionnisme) peut être réactivée en un ou deux ans (le bâtiment a été conçu pour durer cent ans). La fin du projet, descendu par de sombres intérêts financiers, leur a laissé un goût amer et triste. A mon grand regret, nous n'avons donc pas célébré les 20 ans de cette expérience - ce que je comprends -, mais il en a été beaucoup question.
Lui et les ex-membres de Biosphere 2 semblaient très intéressés par mon projet Siècle bleu (mais ont regretté qu’il ne soit pas traduit en anglais) ce qui va m’encourager à le pousser plus loin encore et de façon plus concrète, plus participative. Je ne sais pas encore comment mais je vais y réfléchir dès que j'aurai fini les corrections du tome 2. Si vous avez des idées ou des envies d’aider, contactez-moi !
J’ai aussi fait la connaissance d’Alexandre Meinesz, l’un des speakers. Plongeur aguerri (3000 plongées) et surtout Directeur du laboratoire Ecomers à l’université de Nice (la ville où j’ai grandi jusqu’à 19 ans). C’est lui qui en 1984 avait découvert et alerté les autorités sur la fameuse algue tueuse, la Caulerpa Taxifolia, qui a envahi les fonds marins de la Méditerrannée (15 000 hectares au plus haut de l'invasion) après s’être échappée de l’institut océanographique de Monaco. Cette algue m’avait terrorisé pendant mon adolescence (heureusement que Biosphere 2 m’avait fait rêver à la même époque). Il m’a indiqué qu’après une expansion ininterrompue jusqu’en 2008, l’algue connaissait un recul de 80% pour des raisons qu’ils n’arrivent pas à expliquer (probablement une dégénerescence génétique), comme l'indique cet article du Point en septembre 2011 ou de Libé. Comme quoi le pire ne survient pas toujours. Alexandre a également présenté le projet MEDAM qui consiste à recenser toutes les constructions côtières (ports, criques, remblais) de la côté méditérannéenne française en vue d’établir l’impact sur la biodiversité marine côtière (la plus riche de toute). Le constat était assez effrayant.
Nous nous sommes tous rendus sur le Vieux-port de Marseille où leur navire l’Heraclitus était en escale. C'est une jonque chinoise en ferro-ciment de couleur noire et rouge, à l'allure unique, conçue et construite par John Allen et son équipe en 1975 dans la baie de San Francisco. Le RV Heraclitus entame un nouveau projet de deux ans autour de la Méditerranée dont le but est de rencontrer des hommes de la mer (marins, pêcheurs, gérants de bar…) pour que ceux-ci partagent leurs traditions, leurs anecdotes et leur vision sur l’avenir de leur mer, en vue de faire des propositions pour la préserver. Plus d'informations ici. J’étais d’autant plus heureux d’aller à Marseille que cette ville cache un secret qui joue un rôle très particulier dans le tome 2 de Siècle bleu, mais je ne vous en dis pas plus pour l’instant... Encore une drôle de coïncidence !
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