dimanche 30 mai 2010

Dauphins militaires


Dans le premier tome de mon roman Siècle bleu il est question d’un dauphin militaire, qui aura également un rôle important dans le deuxième tome que je suis en train d’écrire (je ne vous en dis évidemment pas plus). J’essaye en ce moment d’en connaître davantage sur ce programme secret de l’US Navy et évidemment on trouve très peu de choses « officielles ». Si vous aviez d’autres informations à ce sujet, n’hésitez pas à me contacter ou laissez un message sur le blog si elles ne sont pas confidentielles.


Les capacités cognitives spectaculaires des dauphins intéressent les militaires américains depuis les années 1960. Ils sont entraînés et étudiés dans le cadre de l’US Navy Marine Mammal Program. Le site officiel du programme est assez riche mais occulte toutes les questions ennuyeuses. Il y est dit que les dauphins et les autres mammifères marins (orques, otaries, marsouins, belugas…) sont utilisés uniquement à des fins défensives (comme cela a été le cas pendant la seconde guerre du Golfe ce qui est dit ouvertement).


Or, de nombreuses rumeurs circulent sur le fait que ces créatures auraient pu être utilisées dans des missions d’attaque… Les dauphins seraient capables de « neutraliser » des plongeurs ennemis (« Swimmer Nullification Program ») en leur injectant des seringues de CO2 (dont l’effet serait évidemment létal) ou en ôtant leurs masques. Les mammifères marins seraient également entraînés pour porter des charges explosives sur des navires adverses, ce qui aurait notamment été fait pendant la guerre du Viêt-Nam. La base d’entraînement principale de ces mammifères marins se trouve à San Diego et grâce à Google Earth, j’ai même pu trouver des images satellites où l’on discerne les dauphins militaires dans leurs (trop petits) bassins individuels.


Si vous voulez inspecter vous-même ce site militaire, allez sur la page « les lieux du livre » sur le site Siècle bleu, téléchargez le fichier .kmz et ouvrez le avec Google Earth. Vous trouverez également dans ce fichier la trentaine d’autres lieux du tome 1 (Biosphere 2, siège de la NSA, forêt d’Aokigahara Jukai, Very Large Array Telescope, sites de la NASA, atoll de Diego Garcia…).


Au-delà de l’entraînement pour la recherche de mines, d’objets, on ignore complètement la nature des expériences qui ont été pratiquées sur ces créatures. C’est un roman, Abysses de Franck Schätzing, qui m’a mis sur des pistes (un fantastique thriller écologique que j’avais chroniqué il y a deux ans sur ce blog). Pendant 10 pages (à partir de la page 494), il nous donne des détails sur le programme de dauphins militaires. Même si tout est à peu près vrai dans ce thriller, j’ai vérifié les informations. Certaines sont publiques (cf. article Wikipedia) comme les explications sur les groupes MK4 (dauphins détecteurs de mines), MK5 (otaries détecteuses de mines), MK6 et MK7 (mammifères marins utilisés pour se défendre contre l’ennemi). D’autres sont complètement secrètes, notamment celles sur le groupe appelé MK0. Ce sont ces mammifères marins qui auraient été dressés pour les missions d’attaque. Ce sont eux qui se seraient attaqués aux plongeurs ennemis avec des seringues de CO2 (il cite pus de 40 Viêt-Congs morts). Schätzing avance même que des orques auraient été entraînées pour porter des charges nucléaires ! Je n’ai trouvé aucune preuve de cette information et évidemment je suis preneur de toute référence sur ce sujet.


Schätzing indique également que les Américains n’avaient pas confiance dans le seul dressage pour mener des missions d’attaque (surtout avec des charges nucléaires), et qu’ils auraient placé des électrodes sur le cerveau des dauphins pour contrôler leurs pensées et leurs mouvements. Schätzling cite notamment un article du Earth Island Journal, le journal fondé par David Brower, l’un des plus célèbres défenseurs de l’environnement américain (Brower a fondé le Sierra Club et les Amis de la Terre). J’aime beaucoup cette publication et l’image de la Terre vue comme une île est d’ailleurs au cœur du projet Siècle bleu.


L’article en question existe bien et je l’ai retrouvé : « Did US Navy Order Dolphin Deaths? ». Il date de l’été 1998 et cite un autre article (daté du 1er mars 1998) de Jon Heley, journaliste à The Observer, qui aurait découvert en 1989 une douzaine de dauphins morts sur les côtes françaises en Méditerranée. D’après Schätzing (et d’autres références sur Internet), ces dauphins étaient en partance pour Bahreïn (Bahreïn est d'ailleurs cité sur le site officiel de l’US Navy Marine Mammal Program) où les Américains auraient mené des expériences pour poser des mines activées à distance (qui emporteraient éventuellement le dauphin avec l'explosion).


Je n’ai pas retrouvé l’article original de The Observer mais j’ai contacté l’auteur (qui récemment dirigeait le bureau français de The Guardian) pour en savoir plus (j ‘attends toujours sa réponse). Selon l’article du Earth Island, les dauphins morts avaient tous des trous dans le crâne qui auraient justement servi à poser des électrodes. Ces animaux auraient été abandonnés par les Américains qui auraient rencontré des problèmes.


Dans son livre Schätzling cite également un mystérieux professeur français, René-Guy Busnel, qu’il compare un peu au Docteur Moreau d’H.G. Wells pour avoir martyrisé des dauphins et coopéré avec les Américains. Ce chercheur a bien existé et il dirigeait le laboratoire d’acoustique animale de l’INRA à Jouy-en-Josas. C’est l’un des spécialistes mondiaux des sonars animaux et en particulier de celui des dauphins. Il est également spécialiste des « langues sifflées » chez les mammifères marins, les oiseaux ou les humains (regardez par exemple cette vidéo où il analyse une mystérieuse langue sifflée par les habitants d’une vallée reculée en Turquie ou celle-ci sur une langue sifflée des Pyrénées). Busnel aurait travaillé avec le centre de San Diego pour mettre au point un langage permettant de dialoguer avec les dauphins.


Apprendre à parler avec les dauphins n’est pas ce qui lui est reproché. On évoque les conditions atroces dans lesquelles il s’est livré à des expériences sur les dauphins pour comprendre leur anatomie et le fonctionnement de leur cerveau (10 dauphins étaient mutilés chaque année). La photo ci-dessus est supposée avoir été prise dans son laboratoire. Il a également été impliqué dans le scandale des dauphins de Taïwan qui l’a lié au crapuleux Bruno Lienhardt (sur Lienhardt, lire cet article très complet). Lienhardt a vogué sur la vague des delphinariums et a approvisionné en dauphins, de nombreux parcs européens (en général les plus miteux). On doit par exemple à Lienhardt d’avoir introduit en 1970 (et ce jusqu’en 1984 !) des dauphins dans la revue "Girls, Girls, Girls" du Moulin Rouge à Paris ! Les dauphins vivaient dans un bassin de 4 * 5 mètres et ils sont nombreux à y avoir péri. Sous la pression de Greenpeace, le show fut finalement interdit et un bassin de 800 mètres carrés minimum est depuis imposé par la loi. Au début des années 80, Busnel a fait appel à ce Lienhardt pour lui "procurer" 20 dauphins dans le cadre d’un contrat réalisé pour l’OTAN (donc à des fins militaires). Lienhardt partit "chercher" les dauphins à Taïwan et ce fut une catastrophe : plusieurs dizaines de dauphins trouvèrent la mort et aucun ne furent livrés à Busnel.


Certes tout cela doit être jugé à l’aune des pratiques de l’époque (comme le rappelle son ami l’écologiste Yves Paccalet dans son blog), mais vu d’aujourd’hui c’est évidemment scandaleux. Busnel était pourtant un spécialiste renommé, notamment proche de Cousteau. Vous me direz que Cousteau pratiquait bien la pêche à la dynamite dans Le Monde du Silence… Là encore, il faut juger par rapport aux pratiques de l’époque (Cousteau avait d’ailleurs refusé pour cette raison de retirer ultérieurement cette scène de son documentaire, qui lui avait valu la Palme d’Or à Cannes).



Pour complèter ces recherches il faut rappeler l’extraordinaire roman de Robert Merle, Un animal doué de raison, paru en 1967 et qui raconte l’histoire de deux dauphins (Bi et Fa) à qui l’on apprend à « parler » et qui seront finalement utilisés à des fins militaires (au Viêt-Nam, comme par hasard). Je le recommande ardemment comme ces autres romans de Robert Merle :

  • Malevil, extraordinaire roman d’anticipation (mais pas tant que ça) qui nous raconte la vie d’un groupe de survivants à une catastrophe nucléaire
  • La Mort est mon métier, sur la vie de Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz
  • Le jour ne se lève pas pour nous, sur la vie à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins.

Il y a eu une adaptation cinématographique en 1973 (« The Day of the Dolphin ») qui est assez décevante et caricaturale par rapport au roman, mais qui est une référence indispensable pour quiconque s’intéresse aux dauphins militaires.


En résumé, les dauphins ont clairement été utilisés à des fins militaires et cela est toujours d’actualité car comme l’indique l’excellent site « Action pour les Dauphins », la Russie a annoncé en décembre dernier qu’elle renouait avec son programme de dauphins militaires.


A quand les dauphins militaires chinois ?


3 commentaires:

Julien Appert a dit…

Abysses ? Lu.
Un animal doué de raison ? Lu.

Je n'ai malheureusement pas d'informations supplémentaires à t'apporter sur l'exploitation des dauphins. C'est en tout cas un sujet très intéressant, et je suis curieux de lire tout cela sous ta plume !

(Malevil, lu aussi, et il est effectivement très bon. L'organisation de la survie post-apocalyptique qu'il décrit est passionnante.)

Pierre a dit…

Bonjour Jean-Pierre,

Merci pour cette excellent article, très instructif et qui résume ce que l'on peut savoir à l'heure actuelle sur l'utilisation militaire des cétacés.

L'interview que j'ai réalisée avec Ric O'Barry relate également la présence de "dauphins tueurs" au Viêt-Nam.

En revanche, je n'avais jamais entendu parler des électrodes censées piloter les mouvements des dauphins (est-ce réellement possibles ??).

J'ai moi aussi essayé de me renseigner sur les travaux de Busnel, mais je n'ai pratiquement rien trouvé (il est néanmoins cité dans les archives du site officiel du Marine Mammal Program, ainsi que Bateau, mort mystérieusement dans les années 70 il me semble... !).

On reparle de tout cela très bientôt. Une investigation poussée serait extrêmement intéressante et révélatrice. Mais elle impliquerait de retrouver ceux qui "peuvent" parler...

Pierre

Jean-Pierre Goux a dit…

@ julien : je vois qu'à nouveau nous partageons beaucoup de bonnes lectures ;-))
Sur les dauphins (et plein d'autres choses), il y a également un livre extraordinaire : "Le cinquième Rêve" de Patrice Van Eersel, ce livre mérite un post à lui tout seul.
@ pierre : effectivement, il faudrait trouver ce qui peuvent parler, mais j'imagine que la grande majorité est aux Etats-Unis. Sur les électrodes, aucune idée si c'est vrai. Il faudrait creuser les travaux de John Lilly (dont il est question dans "Le cinquième rêve") qui a travaillé sur la communication avec les dauphins et aussi sur les stimulations du cerveau.