lundi 4 juin 2012

Yves Klein et la Révolution bleue





Il y a cinquante ans, le 6 juin 1962, le peintre Yves Klein nous quittait, à l’âge de 34 ans. Ce fut une étoile filante dans l’histoire de l’art, mais un demi-siècle plus tard le bleu unique de ses toiles garde tout son feu et il est plus que jamais considéré comme l’un des plus grands avant-gardistes du XXème siècle.


Pour preuve, la toile FC1, considérée comme la dernière de ses œuvres, a atteint le 9 mai dernier le prix record de 36 millions de dollars lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à New-York. Christie's a même réalisé une sublime vidéo sur la création de FC1

Mais ce n’est pas de la cote d’Yves Klein dont je vais vous parler aujourd'hui, mais du rôle qu’il a joué dans l’écriture de ma saga Siècle bleu.



Je n’oublierai jamais ce jour de juin 1990. J’étais alors encore au lycée et je visitais pour la première fois le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain (MAMAC) de la ville de Nice qui venait d’ouvrir ses portes. Quand, au bout d’un couloir, j’ai aperçu cette toile complètement bleue, j’ai eu l’une des plus grandes émotions artistiques de ma vie. Je m’en suis approché  et je suis resté de longues minutes à observer ce pigment, si pur, si profond, si doux. J’ignorais tout de l’artiste qui avait peint ce monochrome et je n’imaginais surtout pas que ce bleu changerait le cours de ma vie. 


Je suis retourné très souvent au MAMAC cette année-là et ces visites se sont encore multipliées lorsque je suis entré en prépa scientifique au Lycée Masséna, situé à quelques centaines de mètres du musée. J’allais me ressourcer auprès de ces œuvres dans les moments de doute. À chaque fois que je retourne à Nice, je fais mon pèlerinage au MAMAC dans la salle consacrée à Yves Klein. C'est un rituel. Je me sens bien dans cette salle, j’ai l’impression qu’une petite voix m’y parle. C’est là que l’idée de Siècle bleu a germé et puis s’est nourrie. Ce bleu servirait de liant à tout ce que je voulais mettre dans mon roman afin de constituer ma révolution bleue. 


Né à Nice (comme votre serviteur, vous l'avez deviné), Yves Klein a commencé à peindre relativement tard, en 1955. Sa carrière fut donc très courte mais intense et prolixe. Avant de peindre, il avait excellé au judo. Formé au Judo club de Nice de Robert Boagaert, le club et le professeur que j’ai aussi fréquenté beaucoup plus tard dans les années 80 (mais je me suis arrêté juste avant la ceinture bleue ! À l’époque j’ignorais qui était Yves Klein et surtout qu’il avait pratiqué dans ce club... coïncidences... coïncidences). Il est ensuite parti à l’âge de 24 ans pendant un an et demi à Tokyo, pour être formé par Tsunetane Oda (l’un des plus grands maîtres du Kodokan). De retour avec sa 4ème dan (il fut l’un des premiers européens à l’obtenir), il publia en 1954 une méthode de judo chez Grasset qui fait toujours autorité.


La pratique du judo et du zen au Japon lui ont fourni les bases de ce qui constituera sa philosophie si singulière. Une philosophie où les 4 éléments et une réflexion sur l'immatériel occupent un rôle prépondérant. En 1955 et 1956, tout en continuant le judo, Yves Klein peint ses premières propositions monochromes. Toutes les couleurs y passent, mais son fameux bleu ne fera son apparition que fin 1956 après une longue recherche chimique pour trouver le procédé qui permettrait d’immortaliser le feu de ce pigment bleu violet pur : l’IKB (International Klein Blue). 


Cinquante ans plus tard, ce feu brille encore du même éclat, il a obtenu sa victoire sur la matière. 


Début 1957, il expose pour la première fois dans une galerie à Milan où il fera la connaissance de Lucio Fontana, l’homme qui lacère les monochromes (lire à ce propos mon post : Eyjafjallajökull, le nouveau maître du bleu) et qui lui achètera un de ses premiers monochromes bleus (l’histoire ne dit pas s’il le lacérera). Puis viendra la notoriété courant 57 avec ses premières expositions à la galerie Iris Clert de Paris marquant le début de son époque bleue.


1957 est aussi l’année où Yves Klein aura l’intuition de ce que découvrira Gagarine 4 ans plus tard : « vue de l’Espace, la Terre est bleue ». Pour ceux qui ont lu mon roman Ombres et Lumières, vous aurez certainement compris d’où lui venait cette intuition…  

Globe Terrestre bleu (1957)

En 1958, il écrit au président des Etats-Unis Eisenhower une lettre intitulée « The Blue Revolution ». La révolution bleue est présentée comme un mouvement ayant son siège social à la Galerie Iris Clert et « tendant à la transformation de la manière de penser et d’agair du peuple français dans le sens du devoir individuel vis-à-vis de la collectivité des nations ». 

(vous pouvez cliquer sur les textes pour zoomer dessus)


A la même époque, il écrit également au président de la Conférence internationale de la détection des explosifs atomiques, lui proposant de colorer en bleu les explosions à venir.



Il écrit aussi au Secrétaire général de l’année géophysique internationale pour qu’une mer de la planète soit baptisée "mer bleue" et colorée avec de l’IKB planctonique. 


Cette révolution bleue voulue par Yves Klein n’a malheureusement pas vu le jour. Il a été extrêmement critiqué à New-York (où cinquante ans plus tard, paradoxe, ses toiles s’arrachent à prix d’or…) pour le caractère farfelu de ses œuvres. Yves Klein a même dû justifier sa démarche en 1961 dans son manifeste de l’hôtel Chelsea, dont un extrait figure d’ailleurs en exergue de mon roman Ombres et Lumières :

Ce jour-là, alors que j’étais étendu sur la plage de Nice, je me mis à éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient de-ci de-là dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu’ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres.

Yves Klein est mort en 1962 d’une crise cardiaque après avoir manipulé trop de produits chimiques pour la réalisation de ses oeuvres. L'astronaute Paul Gardner, le héros de Siècle bleu et Ombres et Lumières, a sensiblement le même âge que lui et son coeur le fait lui aussi souffrir (coïncidence ?). Quel sera son destin ?

Dans mon livre, Paul Gardner, abandonné seul sur la Lune, redonne vie à cette Révolution bleue. Puisse-t-elle avoir la même longévité que le feu des toiles d’Yves le Monochrome. En tout cas, je suis heureux de me rendre à Nice le 9 et 10 juin pour participer au salon du livre et je ne manquerai pas de faire mon périple au MAMAC pour célébrer le cinquantième anniversaire du Maître du bleu. 

Allez, tous à vos pinceaux et vive la Révolution bleue !





EXTRAITS DU BLOG DE PAUL GARDNER 

LA REVOLUTION BLEUE


En attendant, pour ne pas sombrer, il faut que je continue à imaginer ce Siècle bleu. Il le faut.
Réussir ce tournant dans notre histoire nécessitera un changement de paradigme, une métamorphose, un soulèvement, une révolution. La Révolution bleue.
L’objectif de cette révolution ne devra pas être l’effondrement du système, mais la préparation du monde d’après. Lorsque le bloc soviétique s’est fissuré, le peuple a cru qu’il suffirait de défaire le pouvoir en place pour accoucher d’un monde meilleur. Un groupe de rapaces était aux aguets et le pays a en fait basculé vers un nouvel enfer.
La Révolution bleue n’aura pas besoin d’être violente. Elle ne s’opposera à aucun mouvement. Elle sera compatible avec toutes les croyances, toutes les idéologies et toutes les religions car elle se fera uniquement dans le cœur des hommes. Elle sera nourrie par une simple vision poétique, un rêve : celui d’une belle petite planète bleue avec laquelle nous vivrons en harmonie et où chacun sera appelé à faire rayonner sa beauté intérieure.
J’ai d’ailleurs emprunté l’appellation de Révolution bleue au peintre Yves Klein. Il nous a laissé des œuvres mystérieuses, dont ses fameux monochromes bleus. Yves Klein était obsédé par cette couleur et plus particulièrement par une teinte, un outremer profond obtenu autrefois à partir du lapis-lazuli. Comme un sorcier, il avait passé des mois à rechercher un procédé susceptible de fixer ce bleu et d’éviter que son éclat ne s’atténue avec le temps. Cinquante ans plus tard, ses toiles brillent toujours du même feu étrange. Une fois la technique mise au point, Yves Klein entreprit de peindre le monde en bleu et imagina des œuvres toujours plus vastes. En pleine Guerre froide, il adressa même une lettre aux plus hautes personnalités pour leur proposer de colorer en bleu les explosions atomiques.
Ce bleu sera notre arme. Yves Klein a peut-être lui aussi forgé le rêve de la Révolution bleue en visitant la Grotte bleue. Il est mort trop jeune, il faut poursuivre son œuvre.
J’exhorte les artistes et les citoyens du monde à rejoindre la Révolution bleue. Je les invite à prendre un pinceau et à badigeonner de bleu les villes et les villages. Partout où c’est possible. Cette couleur sera le signe de ralliement à notre révolution. Devant chacune de ses touches, nous nous rappellerons l’importance de l’effort à mener. Leur présence nous permettra également de mesurer la progression de notre mouvement. Si ce bleu se répand sur la Terre, les forces prédatrices invisibles qui rongent les hommes reculeront.
Ce bleu sera aussi une corde de rappel pour ceux qui seraient tentés de baisser les bras. Les sympathisants de la Révolution bleue devront toujours garder avec eux un objet bleu, leur talisman. Il leur suffira de brandir cette marque de leur engagement pour trouver du soutien. S’ils sont seuls, ils devront le serrer très fort en songeant à notre belle planète. La tentation disparaîtra.
Que la Révolution bleue se mette en marche !
À demain.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

moi aussi je suis fascinée par le pigment bleu..je ne me sépare pas d'un un carnet repésentant une zone de sensibiité picturale immatérielle , que ma tante , avec qui il a partagé une période de sa courte vie , m'a donné un jour comme un trésor , et avec lequel je m'amusais à fuser dans l'espace en fixant sa couverture si bleue si bleue...