lundi 25 novembre 2013

Les otages, l’atome et la raison d’Etat




À l’heure où l’on parle plus que jamais de contrôler le programme nucléaire iranien et où des otages français sont capturés, libérés ou assassinés dans des zones proches des gisements d’uranium, il me semblait important de vous parler d’un livre.  Une guerre de Dominique Lorentz, l’un des meilleurs livres d’investigation jamais écrit, paru en 1997 aux désormais célèbres éditions Les Arènes (créées en 1997 par Laurent Beccaria, précisément pour sortir ce livre). Cet ouvrage m’a ouvert les yeux sur ce qu’un Etat (la France en l'occurence) fut il n'y a pas si longtemps capable de commettre au nom du nucléaire civil et de la Bombe. 


Marcel Fontaine, Marcel Carton, Jean-Paul Kaufmann, Michel Seurat, Roger Auque, Jean-Louis Normandin… Ces noms vous disent quelque chose ? Ce sont quelques-uns des fameux otages français au Liban, qui ont fait la une des journaux télévisés de 1985 à 1988. À l’époque j’étais adolescent et comme tout le monde, j’ignorais ce qui se tramait vraiment derrière ces enlèvements. À cette époque, la France était simultanément secouée par une vague d’attentats « terroristes » (ce mot était nouveau dans la novlangue politique) sans précédent, dont celui du pub Renault sur les Champs-Élysées ou de la FNAC des Halles. Le 17 novembre 1986, Georges Besse, le PDG de Renault mourrait assassiné. Le 5 février 1987, Michel Baroin (le père de François Baroin) périssait dans un accident d’avion au retour d’une visite au Congo. C’est en enquêtant sur la mort de ce dernier que Dominique Lorentz a trouvé le lien entre tous ces évènements. Et la surprise est de taille.


Michel Baroin était ce qu’il convient d’appeler un homme d’influence. Diplômé de Sciences-Po, il s’oriente vers le concours de commissaire de police, commence sa carrière en Algérie (où il lutte contre le FLN et œuvre à la dissolution de l’OAS) avant d’opter pour les RG puis la DST. Il entre ensuite en politique en 1964 en devenant sous-préfet de l’Aude. Fort de ses connaissances des affaires africaines et du monde du renseignement, Michel Baroin est affecté auprès de deux présidents de l’Assemblée : Achille Peretti (ancien flic et ancien préfet, devenu par la suite le mentor de Sarkozy) puis Edgar Faure. Auprès d’Edgar Faure, il est notamment en charge de la relation avec la commission de défense nationale. Lorsque Giscard entre à l’Elysée, il est nommé en 74 à la tête des assurances GMF puis de la FNAC en 1985 lorsque celle-ci fut rachetée par la GMF.

Michel Baroin était également un franc-maçon de haut-rang (grand maître du Grand Orient de France en 1977 et 1978) à qui l’on attribue la constitution d’un réseau concurrent de celui de Foccart en Afrique (la plupart des présidents africains proches de la France étant à cette époque devenus francs-maçons). Par le biais d’une filiale de la GMF, il construisit ainsi le palais présidentiel de Bongo. La GMF est connue pour être une officine d’état où grenouillent d’anciens barbouzes et une multitude de francs-maçons. Passons, car la franc-maçonnerie n’est pas le sujet de ce post.

Le nom de la GME apparaît dans plusieurs scandales de financement de partis politiques (dont l’affaire Urba-Grecco). Ami intime à la fois de Chirac et de Mitterrand, François Baroin est donc un homme de l’ombre incontournable. A l’époque La mort de Baroin fait parler (un peu) et beaucoup ne croient pas à un accident. Comme Dominique Lorentz. Il sera difficile d’en avoir le cœur net car les dernières minutes de la boîte noire de son avion ont été … comment dire… effacées ! Mais comme nous le savons tous il est très difficile de contredire la vérité officielle (cf. un précédent post « Mensonges d’Etats » sur l’affaire Robert Boulin).

Si Baroin a effectivement été assassiné dans la nuit du 4 au 5 février 1987, Lorentz cherche  si ceux qui l’ont liquidé lui ont donné un avertissement. Coïncidence troublante le 5 février 1986, un attentat visait justement la FNAC aux Halles, société dont il assurait la présidence. Michel Baroin se trouvait d’ailleurs ce jour-là à l’auditorium des Halles, mais la bombe a explosé à un autre étage. Un mystérieux coup de téléphone anonyme, ressemblant fort à un avertissement, avait été donné au commissariat du coin. Le 26 avril 1986, sa fille Véronique disparaissait dans un accident de voiture. Et le 4 février, c’est … la sainte Véronique… Partant de ces coïncidences, Dominique Lorentz va tenter d’assembler les morceaux d’un puzzle ahurissant.


Une partie des attentats de 86 sont revendiquées par l’inconnu CSPPA (comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du proche-Orient) qui réclamait la libération du chef libanais Georges Ibrahim Abdallah, de l'islamiste iranien Anis Naccache et du marxiste arménien Varoudjan Garbidjan, en échange de la libération des otages français. D’autres attentats comme celui de Georges Besse sont attribués à Action Directe. Ce groupe gauchiste s’en serait ainsi pris au « grand capitalisme » à travers le patron de Renault, pourtant reconnu par l’ensemble du personnel de la Régie pour sa qualité inestimable. Besse était en effet l’un des très grands patrons que la France ait connus, comme on le découvre ainsi dans l’autobiographie de Jacques Lesourne, « Un homme de notre Siècle ». Lesourne (créateur de la SEMA puis directeur du journal Le Monde) était le major de la promotion de l’X dont Georges Besse fut second.

Compte tenu de l’avertissement donné aux Halles, la mort de Baroin pourrait donc être liée à la situation au Liban se dit Dominique Lorentz. Elle découvrira peu à peu que les otages n’étaient qu’une façade masquant un accord industriel et militaire très encombrant : Eurodif. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais de 1981 à sa fermeture en juin 2012, ce fut le plus gros site de consommation électrique en France (12 TWh consommés en 2010) qui utilisait la puissance de trois des quatre réacteurs nucléaires du site voisin de Tricastin. À quoi servait Eurodif ? À enrichir l’uranium.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, l’enrichissement de l’uranium, dont on parle beaucoup, est un procédé industriel très complexe qui consiste à augmenter la teneur de l’uranium en uranium 235 (son isotope fissile). A l’état naturel, l’uranium ne contient que 0.71% d’uranium 235 et il en faut de 3% à  20% (uranium faiblement enrichi) pour fabriquer du combustible nucléaire pour centrale à eau légère (les plus répandus). L’uranium hautement enrichi à usage militaire doit atteindre 80% à 90%. Le site d’Eurodif ne fabriquait que l’uranium faiblement enrichi, l’uranium militaire étant fabriqué au site voisin de quelques kilomètres de Pierrelatte. Il est à noter que la phase d’enrichissement de 0.71% à 3% est la plus difficile.  Je vous recommande à ce titre l’article écrit par Michel Alberganti sur l’enrichissement et ses conséquences diplomatiques.

Quel est donc le lien entre Eurodif avec cette vague d’attentats et d’assassinats ? Un indice : le premier président d’Eurodif en 1974 s’appelait… Georges Besse ! Le grand patron qui fut assassiné en 1986. En attribuant (à tort ou à raison) l’assassinat à Action Directe et en mettant en avant le rôle de Besse à la tête de Renault (qu’il venait de prendre à peine un an avant), l’appareil politico-médiatique avait réussi à passer sous silence 20 ans de carrière dans le nucléaire et son lien avec Eurodif.

Vous commencez à comprendre le problème ? Qui serait donc alors le mystérieux commanditaire de ces attentats ? La réponse est simple : l’Iran. Quel est le lien entre l’Iran et Eurodif ? Eh bien, voici ci-dessous le résumé de l’incroyable saga reconstituée par Dominique Lorentz.

1956 : Début de la coopération nucléaire franco-iranienne

  • Octobre 1961- Voyage officiel du Chah à Paris. Il visite les centres nucléaires françaises dans lesquels sont formés les physiciens iraniens.
  • Octobre 1963 - Voyage officiel du général de Gaulle en Iran.
  • 1964 - Les Etats-Unis fournissent à l’Iran son premier réacteur de recherche.
  • Juin 1974 - Voyage officiel du Chah à Paris. Le Président Giscard d'Estaing et le souverain iranien annoncent que leurs pays s'engagent dans une vaste coopération nucléaire. La France vend des centrales et divers équipements à l'Iran. En parallèle, l'Allemagne en fait autant. Par ailleurs, l’Iran entre auprès de la France dans le capital d’Eurodif, le consortium européen d'enrichissement de l'uranium qui sera bâti à Pierrelatte. L’Iran acquiert de ce fait le droit d'enlever 10 % de la production (à des fins civiles) de l'usine (qui couvrira à elle seule 1/3 des besoins mondiaux). Il prête 1 milliard de dollars à la France, par le canal du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Le remboursement de cette somme doit commencer l'année de la mise en service d'Eurodif, en 1981.
  • Décembre 1974 - Voyage officiel de Jacques Chirac en Iran. Le Premier ministre français et son homologue iranien, Hoveyda, signent l'accord Eurodif.
  • Octobre 1976 - Voyage officiel du Président Giscard d'Estaing à Téhéran. A la même époque, Carter remet en question l'armement conventionnel de l'Iran, tandis que le Chah se plaint de n'avoir pas reçu les centrales nucléaires commandées à Framatome.
  • Octobre 1978 - La France accueille le mollah Khomeiny à Neauphle-le-Château, d'où il conduit la dernière phase de la Révolution Islamique (à noter que la mise en place de Khomeiny a en partie été décidée par les USA et la CIA, le chah s’étant éloigné des Etats-Unis en nationalisant les compagnies pétrolières).
  • 5 au 7 janvier 1979 : Au Sommet de la Guadeloupe, Carter et ses alliés français et allemands décident d’apporter leur appui à Khomeiny et ses alliés.
  • 11 janvier 1979 - Le départ du Chah est annoncé depuis Washington par le Secrétaire d'Etat américain Cyrus Vance.
  • 1er février 1979 - Khomeiny rentre en Iran à bord d’un avion d’Air France.

1979-1981 : Début du contentieux Eurodif & les attentats

  • 1er avril 1979 - Khomeiny proclame la République islamique. A la même période, les Iraniens reprennent l’exploitation de leurs gisements d’uranium.
  • 9 avril 1979 - Khomeiny rompt le contrat de fourniture de centrales nucléaires passé avec la France. Mais il maintient celui conclu avec l’Allemagne pour la construction de la centrale de Bushehr, et confirme l’actionnariat de l’Iran dans Eurodif.
  • 1979-1980 - La France refuse de laisser l'Iran exercer son statut d'actionnaire d'Eurodif. Les deux pays déposent des recours devant des tribunaux internationaux. Début du contentieux Eurodif.
  • 4 novembre 1979 - Prise d’otages de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran.
  • 18 juillet 1980 - Tentative d’assassinat de Bakhtiar, l’ancien 1er ministre du Chah.
  • 4 novembre 1980 - Carter est battu, Reagan est élu Président des Etats-Unis.
  • 1981 - Mise en service de l'usine Eurodif. Les Iraniens réclament l’uranium enrichi auquel ils ont contractuellement droit. Les Français refusent. Les échéances de remboursement du prêt d’un milliard de dollars sont placées sur un compte bloqué.
  • 20 janvier 1981 - Reagan prête serment. Au même instant, les otages sont libérés.
  • 5 février 1981- Double attentat contre Air France et TWA, à Paris.
  • 8 mai 1981- Mitterrand est élu Président de la République.
1983-1986 : Les otages du Liban & les attentats de Paris

  • 23 octobre 1983- A Beyrouth, double attentat contre le quartier général des Marines américains (241 morts) et l’immeuble Drakkar abritant des soldats français (58 morts).
  • Printemps 1985 - Premières prises d’otages de ressortissants français au Liban.
  • 3, 4 et 5 février 1986 Attentats à Paris.
  • 16 au 20 mars 1986 Attentats à Paris.
  • 20 mars 1986- Mitterrand nomme Chirac Premier ministre.
  • 1er au 17 septembre 1986 - Attentats à Paris.

Fin du contentieux Eurodif

  • 7 novembre 1986-
    • 20 heures : assassinat de Georges Besse, le président fondateur d’Eurodif, revendiqué par Action Directe
    • 22 heures : 1er versement officiel de 330 millions $ par la France à l'Iran
    • Minuit : annonce de la libération imminente d’un otage.
  • 5 février 1987 : assassinat de Michel Baroin
  • Décembre 1987 – 2ème versement officiel de 330 millions de $ par la France à l'Iran.
  • 24 avril 1988 -1er tour des élections présidentielles. (en faveur de Mitterrand).
  • 5 mai 1988 - Retour des derniers otages français au Liban, accueillis à l’aéroport par le Premier ministre Jacques Chirac.
  • 6 mai 1988 - Publication par Matignon d'un accord signé par le Premier ministre Jacques Chirac et son homologue iranien, dont la condition de réalisation est le retour des derniers otages du Liban, et qui prévoit le rétablissement du statut d'actionnaire de l'Iran dans Eurodif et la livraison « sans restriction » d’uranium enrichi à Téhéran.
  • 8 mai 1988 - François Mitterrand est réélu.
  • 3 février 1989 - Voyage officiel de Roland Dumas, ministre socialiste des Affaires étrangères, à Téhéran, alors que l'Iran célèbre le dixième anniversaire de la Révolution islamique.
  • Septembre 1989 - Mitterrand confie à François Scheer la formalisation d'un accord définitif de règlement du contentieux franco-iranien.
  • 29 décembre 1991- Signature de l'accord franco-iranien. L’Iran est pleinement rétabli dans son statut d’actionnaire d’Eurodif, avec les droits afférents, notamment celui de prélever 10 % de l’uranium enrichi (à des fins civiles) par le consortium. Au cours des dix années de crise, l'Iran a acquis diverses installations nucléaires (réacteurs, équipements d'enrichissement de l'uranium...) à des alliés des Etats-Unis tels que l'Allemagne, l'Argentine, la Chine ou le Pakistan.

Accords franco-iranien & franco-russe

  • 8 janvier 1995 - Signature d'un accord de coopération nucléaire entre l'Iran et la Russie, portant notamment sur l'achèvement de la centrale de Bushehr.
  • 1997 - Signature d'un accord de fourniture d'uranium enrichi entre la France et la Russie. Parallèlement, la coopération nucléaire russo-iranienne se renforce.
  • Printemps 1998- Double série d'essais nucléaires en Inde et au Pakistan. Les essais indiens sont en réalité israélo-indiens, tandis que les pakistanais sont irano-pakistanais. L'Iran est une puissance nucléaire effective.
  • Octobre 1999 - Voyage à Paris de Khatami à l'invitation de Jacques Chirac. A la fin de son séjour, il se rend au Panthéon où il dépose une gerbe sur les tombes de Pierre et Marie Curie, les pionniers français de l'atome.
  • 14 décembre 2001 : Prière de Vendredi – Téhéran. Hachemi Rafsandjani Ex-Président de la République Islamique, sous mandat d’arrêt International suite à l’affaire de la Tuerie du MYKONOS (du nom d’un Restaurant), déclare qu’il n’est pas exclu que son pays opère une frappe nucléaire contre Israël et déclenche une troisième guerre mondiale. 
Lorsque le président français et son ministre des affaires étrangères sont à la manœuvre pour tenter de dénucléariser l’Iran, cela prête à sourire car il y a 40 ans c’est nous qui leur avons donné l’accès au nucléaire. Ce genre de comportements est pourtant monnaie courante dans les affaires internationales (soutien de Saddam Hussein par les Etats Unis pendant la guerre Iran-Irak, soutien de Sarkozy à Khadafi peu avant l'invasion de la Lybie...).

Pour être (un peu) objectif, il faut prendre en compte le contexte géopolitique de l'époque. En 1974, la France subit de plein fouet le premier choc pétrolier et décide d’intensifier le programme nucléaire civil naissant. Pour assurer son autonomie, la France a besoin d’une filière d’enrichissement, c’est Eurodif. Le coût est élevé et la France a besoin de capitaux. Elle accueille donc l’Iran au capital et leur vend deux réacteurs. Evidemment l’Iran qui dispose de beaucoup de pétrole n’est pas intéressé par les réacteurs mais par la Bombe. Le Chah était alors un allié des Etats-Unis et de la France et lui permettre d’accéder à la Bombe n’était pas aussi inenvisageable qu’aujourdhui. Mais le Chah a changé en prenant ses distances avec ses alliés, puis Khomeiny a changé aussi. Les Français et les Américains avaient oublié que les alliances « nucléaires » devaient s’envisager dans le très long terme (qui n'existe d'ailleurs pas compte tenu de la durée de vie du nucléaire).

La thèse défendue par Dominique Lorentz a été évidemment sévèrement critiquée mais vu les ennuis qu'elle a eu par la suite, elle ne devait pas être si loin de la vérité. Pour conclure, ce qui est le plus troublant dans cette affaire, c’est la façon dont la France a réussi à cacher à l’époque le lien entre les otages, les attentats et ce contentieux Eurodif.  

mercredi 20 novembre 2013

Le Siècle bleu démarrera le 24 novembre 2013… ou le 25 !




Lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet Siècle bleu au début de l'année 2000, je souhaitais raconter l’histoire d’une révolution pacifique à l’issue de laquelle l’état d’esprit dominant basculerait pour donner la possibilité à un « autre monde » d’émerger. À l’époque, il me semblait important de me projeter dans le futur, à un moment où l’exaspération sur l'organisation sociale serait généralisée et le terrain propice à l’émergence de nouvelles idées. J’avais donc situé l’intrigue de Siècle bleu en 2013 (rien ne le dit explicitement dans le livre, mais de multiples indices permettent de le déduire).
J’avais choisi l'année 2013 car en 2000 nous sortions de la peur du « bug de l’an 2000 », et beaucoup de gens prévoyaient la « nouvelle » fin du monde le 21 décembre 2012 (prophétie Maya) et que je n’y croyais pas (les Mayas parlaient d’ailleurs de la naissance d’un nouveau monde). La Révolution bleue racontée dans mes livres s'achève donc un an après, le 21 décembre 2013 dans Ombres et Lumières (tome 2). L’intrigue des deux tomes se déroulant en 28 jours, l’intrigue de Siècle bleu démarre donc le 24 novembre 2013. C’est dimanche prochain !
Comme beaucoup de mes lecteurs, j’aimerais vraiment que cette Révolution bleue puisse voir le jour. Rapidement. Et il me semble que les temps actuels marqués par le désespoir mais aussi un mouvement d’innovation sociale et environnementale sans précédent (nous y reviendrons prochainement) sont effectivement propices à un basculement, que j’espère pacifique.
Dans mes livres, le déclencheur de l'électrochoc est la combinaison entre la traque gouvernementale d’un guerillero écologiste (nous l’avons avec Paul Watson, le leader de Sea Shepherd, traqué depuis 2012 mais aussi avec l'emprisonnement des militants de Greenpeace en Russie), un grand imbroglio diplomatique entre la Chine et les Etats-Unis sur les matières premières (nous évoluons en plein dedans) mais surtout la vision d’un astronaute en danger qui voit la Terre depuis l’Espace. Cet astronaute, Paul Gardner, nous rappelle sa beauté et nous fait prendre conscience de la chance que nous avons en tant qu’êtres humains. 
C’est Paul Gardner qui propose l’instauration d’un Siècle bleu, le nom qu’il donne au 21ème siècle et auquel se référeront peut-être toutes les générations futures comme étant le siècle où l’humanité se serait « métamorphosée » et aurait appris à vivre, enfin, en harmonie avec la Terre et entre humains.
Sur ce dernier point, nous y sommes presque aussi. Le film Gravity a  sensibilisé l’opinion à la beauté de la Terre depuis l’espace (voir ma chronique ici) mais c’est une mission spatiale très discrète dont le départ est prévu le 25 novembre 2013 (quelle coïncidence !!) qui pourrait peut-être vraiment changer les choses.
En France, à part quelques aficionados, personne n’en a entendu parler ni ailleurs certainement. Cette mission est l’initiative de la jeune société canadienne UrTheCast (prononcez « EarthCast »). Comme moi, les créateurs de UrTheCast sont persuadés que les images de la Terre vues depuis l’espace qui ont transformé les astronautes, le fameux « Overview Effect » (*), pourraient à leur tour transformer les humains (c’est la thèse de Siècle bleu mais aussi de mon article récemment écrit pour la revue Orbs). Ils ont donc décidé de fabriquer deux caméras HD dernier cri qu’ils vont envoyer le 25 novembre via un Soyouz/Progress russe vers la station spatiale internationale. Il faudra trois sorties extravéhiculaires pour installer les caméras et fin 2013 / début 2014 on devrait avoir un flux continu d’images (sur Internet mais aussi la TV), aussi belles que celles que voient les astronautes. Après il ne nous manquera plus qu’un Paul Gardner pour les commenter, mais juste la méditation face à cette réalité sublime devrait suffire.
La Révolution bleue est en marche !
La société Urthecast emploie aujourd’hui une cinquantaine de personnes. Je vous laisse découvrir le projet par Wade Larson, son fondateur, un ancien de l’agence spatiale canadienne, à travers une conférence donnée dans le cadre de TEDx Waterloo. Regardez, c’est fascinant.



(*) si vous ne connaissez pas l'overview effect, je vous conseille la lecture de ma page "regards d'astronautes" et surtout de visionner Overview le splendide film de Guy Reid (disponible gratuitement sur Vimeo).

dimanche 3 novembre 2013

"La Terre vue de l'Espace" de JP Goux dans le #1 de la revue Orbs, l'autre Planète




 
Depuis plus d’un an, je donne de nombreuses conférences pour véhiculer le message de Siècle bleu et notamment parler de ce que la vision de la Terre vue depuis l’espace avait et pouvait encore changer. Lorsque j’ai rencontré Maxence Layet le rédacteur en chef d’Orbs, l'autre Planète au mois de juin dernier, il m’a proposé de lui signer un article qui serait la trace indélébile de ces conférences.

C’est donc chose faite avec ce papier intitulé "Une vision pour changer le monde : La Terre vue de l'espace" d’une dizaine de pages qui retrace l’histoire de la première photo de la Terre prise depuis l’espace, analyse l’Overview Effect vécu par les astronautes (les spectateurs de Gravity l’ont éprouvé aussi) et finir sur la mission spatiale DSCVR (Deep Space Climate Observatory) qui devrait renvoyer en 2014 ou 2015 des images en temps réel de la Terre toute entière depuis le point de Lagrange située entre la Terre et le soleil.


J’ai donc l’honneur de figurer parmi les auteurs du numéro #1 de cette toute nouvelle revue-livre Orbs, l'autre Planète que vous pouvez commander sur le site (192 pages, au tarif de 22 euros). Au sommaire :
  • Un grand récit du journaliste et pianiste Erik Pigani, qui nous livre son vécu de plusieurs décennies sur l'expérience de mort imminente,
  • Les transmutations biologiques appliquées à la pollution radioactive par le physicien spécialiste ès fusion froide Jean Paul Biberian,
  • La rencontre des tisserandes de l'Atelier de la Martinerie avec la cinéaste et journaliste Michèle Decoust,
  • L'histoire de la Terre vue de l'espace par l'écrivain Jean-Pierre Goux,
  • L'abécédaire de la langue des oiseaux par Patrick Burensteinas,
  • Des extraits de l'Envolée belle, un roman fantastique de la française Mylène Mouton,
  • La découverte des lois mathématiques régissant la géométrie des fleurs par l'érudit Keith Critchlow,
  • Une nouvelle traduction de l'allégorie de la Caverne de Platon
Egalement à découvrir, trois facettes de la nouvelle donne économique
  • La biodiversité des monnaies,
  • Les racines de l'économie écologique,
  • Les voies du social business et de l'épanouissement humain par le prix Nobel de la Paix et pionnier de la micro-finance Muhummad Yunus
Orbs, l'autre Plnaète est une aventure absolument unique dans le paysage éditorial. Elle s’inspire de Planète, la revue phénomène des années soixante.


Planète était une "revue-monde" lancée par Jacques Bergier et Louis Pauwels (les auteurs du Matin des Magiciens) dont le slogan était « Rien de ce qui est étrange ne nous est étranger ».


Tout comme son illustre ancêtre, Orbs, l'autre Planète a adopté un format carré et une composition typographique hors du commun. Chaque exemplaire de cette revue trimestrielle sera à conserver précieusement. La revue est très richement illustrée comme le montrent ces planches : 




Voilà, j’espère que l’article vous plaira et que le reste de la revue aussi ! Sur le site d'Orbs, l'autre planète, vous pouvez aussi vous abonner à la revue et également commander le numéro #0 de la revue (paru en début d'année 2013) car comme toutes les belles aventures, Orbs a commencé à compter à partir de zéro. 


Le sommaire du #0 est ici, il comptait un article ahurissant sur les ondes et la médecine de Luc Montagnier, le découvreur du virus du sida. Orbs peut aussi se trouver chez une liste de libraires partenaires. Je suis vraiment honoré de participer à cette aventure et de prêter ainsi un coup de main à Maxence Layet (à gauche ci-dessous) qui est un homme admirable.





dimanche 27 octobre 2013

Gravity versus Siècle bleu





* À lire seulement si vous avez vu le film *
  
Gravity est une pure merveille. Un scénario exceptionnel servi par la maîtrise technique et esthétique ahurissante d’Alfonso Cuarón qui a réussi à faire de ce techno-thiller un chef d’œuvre. Je suis sorti de la salle lessivé mais surtout émerveillé.


Pour les amoureux de la conquête spatiale c’est un film sans précédent par son réalisme et son exactitude scientifique. Même si beaucoup de points sont discutables (et discutés par les puristes comme Neil de Grasse Tyson), pour ma part je ne dirai rien tant ce film surpasse tout ce qui a pu être fait dans le passé en termes de rendu de la mécanique spatiale. Je tire simplement ma révérence à Cuarón. Lorsque la Station Spatiale Internationale se disloque dans le film, je me suis mis à pleurer, en pensant d’abord que c’était réel puis en me disant que cet édifice incroyable de plus de 100 milliards d’euros, célébration du génie humain dans tout ce qu’il a de plus admirable, périrait certainement un jour de la même manière. 

Les images de synthèse sont étonnantes et (pour une fois) la 3D apporte une dimension nouvelle au film et permet au spectateur de ressentir encore un peu plus ce qu’est l’angoisse en apesanteur et la beauté de la Terre en orbite.



Quand James Cameron affirmait que Gravity était le meilleur film sur l’espace jamais réalisé, il avait mille fois raison. Les geeks du spatial (comme moi) adoreront et les autres, hermétiques à l’aventure spatiale humaine, découvriront la grandeur et les dangers de cette quête. C’est un film à grand spectacle certes, mais c’est à cela que devrait servir Hollywood : nous divertir, nous émouvoir, nous faire découvrir de nouvelles choses et si possible nous faire réfléchir. À mon humble échelle, j’avais aussi essayé de partager ce qui me semblait admirable dans le rêve spatial et l’activité des astronautes avec ma saga Siècle bleu.

Le point de départ de Gravity est d’ailleurs assez proche. Alfonso Cuarón a imaginé lui aussi un thriller, un space drama, où des astronautes vivent une catastrophe, doivent se battre pour survivre tout cela sur fond d’images de la Terre merveilleuses. À l’origine de mes réflexions il y a quinze ans, j’avais d’ailleurs beaucoup hésité à situer l’action de Siècle bleu en orbite plutôt que sur la Lune mais je voulais que l’histoire s’étende sur plusieurs semaines (28 jours en fait, le temps qu’une vraie révolution ait lieu sur Terre) et en ce laps de temps, il y aurait eu de nombreuses façons de sauver mon héro (Paul Gardner) s’il était en orbite. J’avais aussi trouvé qu’un homme seul assis sur la Lune qui parle de la Terre serait plus poétique et que la compassion humaine serait plus forte, tant l’environnement lunaire est plus hostile que l’orbite terrestre. Après Gravity, je n’en suis plus vraiment sûr !

La réparation d’Hubble



Alfonso Cuarón y est en effet allé assez fort. Il a réuni dans Gravity tous les cauchemars des astronautes. Le film commence par la réparation du télescope spatial Hubble, la plus difficile des missions. Hubble se trouve en effet à 560 km d’altitude soit presque 200 km plus haut que la station spatiale internationale ou la future station chinoise (toujours en construction). S’ils vous arrivent un problème là-haut, vous êtes seuls. J’en avais discuté avec le spationaute français Jean-François Clervoy qui était parti réparer Hubble en 1999 à bord de la navette américaine Discovery. J’ai d’ailleurs retranscrit cet entretien sur mon blog, il y a 4 ans. La mission de Clervoy était doublement stressante car elle avait eu lieu du 20 au 28 décembre 1999, à un moment où tout le monde redoutait le fameux « bug de l’an 2000 »… et notamment les astronautes qui dépendent complètement de l’informatique !

Il y a eu en tout 5 missions de maintenance ou de réparation d’Hubble, l’une des plus belles et plus utiles machines imaginées par l’homme. J’avais écrit un long post en 2009 intitulé « Risky Business » dans lequel je rendais hommage à Hubble mais aussi aux astronautes qui risquent leur vie pour la poursuite de l’aventure scientifique. Lors de la dernière mission de secours en 2009, la NASA avait prévu un véritable scénario catastrophe. En effet, suite à l’accident de Columbia, si un problème était détecté sur le bouclier thermique de la navette, la procédure était de redescendre avec le Soyouz amarré à… la Station Spatiale Internationale. Comme celle-ci est située deux cents mètres plus bas et potentiellement de l’autre côté de la Terre, la NASA avait prévu d’envoyer une seconde navette pour secourir les astronautes. La seconde navette attendait donc sur le pas de tir. Je détaille tout ça dans « Risky Business ».    

Les sorties extravéhiculaires



Deuxième peur pour les astronautes : les sorties extra-véhiculaires. Tous ceux qui en ont effectué, vous diront à quel point c’est extraordinaire mais aussi terriblement angoissant (même si je ne connais pas un astronaute qui ne rêverait pas de sortir dans l’espace). Travailler avec 400 à 600 kilomètres de vide sous soi-même, en alternance de jour ou de nuit, avec le risque de partir en dérive (les spectateurs de Gravity ont bien compris l’angoisse de ce risque, même si normalement tous les astronautes en EVA ont un module de propulsion) et surtout les débris spatiaux. Un seul éclat de peinture ou un boulon qui errerait dans l’espace peut transpercer votre combinaison. Alors imaginez effectivement l’explosion d’un satellite dont les morceaux pourraient effectivement détruire l’ISS (International Space Station)/

J’évoquais d’ailleurs tout cela au début de Siècle bleu (p. 100), lorsque le héros Paul Gardner effectue une sortie extravéhiculaire en orbite pour inspecter sa capsule avant de partir vers la Lune. Vous retrouverez beaucoup d’émotions que vous avez ressenties dans Gravity, et c’est vrai que les images et la 3D apportent énormément pour comprendre cette liberté totale, cette émotion et surtout ces peurs.

Jour 2, SpaceBlog de Paul Gardner, site Internet de la NASA.

Quelle émotion ! Quel pied ! Je viens de passer trois heures à l’extérieur du vaisseau ! Trois heures de liberté totale. Enfin presque, puisque j’étais constamment relié à la capsule par un câble de sécurité. Dériver dans l’espace serait le pire cauchemar des astronautes. Grrrr…
Le franchissement du sas vers le vide spatial est effrayant. Imaginez un vide de 400 kilomètres sous vos yeux et l’environnement le plus hostile qui soit. Votre cerveau vous défendra d’y aller. Mais tant pis, mon incorrigible curiosité d’Homo sapiens l’a emporté et je me suis élancé. À l’extérieur, la température passe chaque heure de +120 °C à -100 °C selon que le Soleil est masqué ou non. Notre combinaison nous protège de ces variations, mais elle reste vulnérable aux impacts des micrométéorites aux millions de débris, vestiges de la présence de l’Homme dans l’espace, dont l’orbite terrestre basse est polluée : outils, boulons, éclats de peinture, fragments d’engins ou même des satellites entiers à l’abandon. À 28 000 kilomètres à l’heure (20 fois la vitesse d’une balle de fusil), chacun d’eux peut nous transpercer. Ces risques font partie intégrante de notre profession et nous les assumons. Rassurez-vous, la menace de collision est quand même maîtrisée : les équipes au sol suivent la trajectoire des objets les plus massifs.
(…)
Pendant près de trois heures donc, inspection des moindres détails du vaisseau pour déceler d’éventuelles traces d’impacts et quelques travaux un peu plus physiques (un panneau solaire ne s’était pas déplié et il a fallu que je force pour le décoincer). Malgré la concentration nécessaire pour effectuer ces tâches, il était difficile de ne pas se laisser enivrer par l’expérience.
Affranchi de la barrière du hublot, les sensations d’hier étaient exacerbées. Je n’observais plus seulement l’espace, j’en faisais partie. Il n’y avait plus de distinction entre l’intérieur et l’extérieur. À part la radio – que j’avais envie de couper pour mieux profiter de l’instant – et mon souffle, pas le moindre bruit. Ce silence absolu renforçait la solennité de l’instant.
Sous moi, l’immense sphère bleue palpitait de vie. Je réalisais soudain que j’étais un nouveau satellite entraîné autour d’elle par les forces invisibles de la gravitation. Bien qu’abstraites, elles étaient maintenant devenues évidentes, sensibles : j’étais devenu l’un des milliards de milliards de danseurs du grand ballet cosmique. En détournant mes yeux de la Terre plongée dans la nuit et en observant le ciel d’un noir intense, pendant quelques instants, j’ai cru entrevoir la signification de l’Infini. Subitement toutes les petites choses qui constituaient ma vie n’avaient plus d’importance et je me sentais léger, et bien. Un état de quasi-béatitude comme celui du plongeur frappé par l’ivresse des profondeurs. L’ivresse de l’espace ; la drogue ultime.
Mes instructeurs m’avaient pourtant prévenu : il ne faut surtout pas se laisser aller. Dès que l’on se sent happé, il faut impérativement se ressaisir. Si Houston ne m’avait pas parlé dans la radio, je pense que je n’en serais pas revenu. J’aurais pu devenir fou et chercher à enlever mon scaphandre pour vivre pleinement ce moment. Les quelques dizaines d’astronautes qui ont effectué des sorties extravéhiculaires ont très souvent été profondément marqués par cette expérience de liberté pure. Je n’en mesure pas encore les conséquences, mais j’en sortirai changé, c’est certain.
De retour à bord, il ne fut pas facile de partager ces sensations très personnelles avec Eileen, Scott et Gary. Je vous souhaite à tous de vivre un jour cette expérience. Peut-être que quelqu’un inventera un simulateur informatique de sorties extravéhiculaires. Cela changerait peut-être le cours de l’Histoire ?

Vous avez certainement ressenti la même chose en regardant Gravity. Ce film est peut-être l’embryon du simulateur dont je rêvais à l’époque.

Le danger des débris spatiaux



Ce danger est réel et Gravity montre à la perfection à quel point cela serait catastrophique. J’en parlais aussi à la page 100 de Siècle bleu et on a déjà frôlé à deux fois le conflit spatial.

Le nombre d’objets dangereux continue toujours de croître. Par exemple, en 2007 et 2008 les Chinois et les Américains ont chacun détruit un satellite à l’aide d’un missile, créant des quantités de nouveaux débris mortels. Un conflit spatial généralisé serait une catastrophe : la densité de déchets deviendrait telle, que l’Humanité ne pourrait plus ni séjourner en orbite ni gagner les étoiles. Elle serait condamnée à rester sur Terre pendant des millénaires, mettant ainsi un temps d’arrêt probablement fatal à une fascinante campagne d’exploration commencée il y a des millions d’années en Afrique. Pas très motivant comme perspective pour notre espèce !

Quand la navette, puis l’ISS, puis la station chinoise sont touchées par les pluies de débris, la vision est apocalyptique. Dans la pratique, je ne crois pas que Sandra Bullock et Georges Clooney pourrait y survivre, mais comme l’a dit Cuarón lui-même, nous n’avons pas affaire à un documentaire mais une œuvre de fiction. Le film montre aussi parfaitement les conséquences des chocs en apesanteur. Pour des raisons de conservation du moment cinétique, les corps et les objets partent en rotation et rien ne peut les arrêter.

Le silence et la solitude



Le film rend parfaitement compte du silence et de la solitude de l’astronaute. S’il n’a pas la radio, il n’entend que son souffle et les bruits de sa combinaison. Même la destruction de la station spatiale ne fait aucun bruit dans le vide. J’avais d’ailleurs eu un peu peur en découvrant le premier trailer de Gravity en mai 2013 car il y a des bruits d’explosion tout le long. Dans le film, on n’a que les bruits des astronautes et la musique (superbe) du film. Cuarón a bien fait les choses.

La grande traversée



Une des scènes les plus incroyables du film est celle où Clooney tracte Sandra Bullock d’Hubble jusqu’à l’ISS sur des centaines de kilomètres. À nouveau cela semble peu probable car les combinaisons propulsées ont une petite autonomie (et Georges Clooney qui s’amuse avec à faire des tours autour de la navette spatiale et d’Hubble avait dû pas mal attaquer ses réserves). De plus l’ISS et Hubble n’ont pas du tout les mêmes orbites : Hubble reste près de l’équateur et l’ISS remonte très au Nord, donc elle peuvent être éloignées de dizaines de milliers de kilomètres (mais parfois aussi assez proches). Même chose pour la station spatiale chinoise (laboratoire spatial puisque pour l’instant il n’est pas continument habité). Cette page du site de la revue « Sky & Telescope » donne par exemple les positions en temps réel (ainsi que la position dans les 60 prochaines minutes) de ces 3 constructions spatiales.

Néanmoins, cette traversée est juste magnifique. Lorsque Georges Clooney fait remarquer à Sandra Bullock la beauté du lever du soleil sur la fine atmosphère bleutée, ce fut grand moment d’émotion pour moi car c’est l’image que nous avons prise pour la couverture de Siècle bleu !



L’arrivée sur l’ISS, le feu et le départ d’urgence en Soyuz

L’arrivée sur l’ISS est merveilleuse. Pour moi cette construction, de la taille d’un terrain de football, est la plus belle qui soit. Le feu est l’une des plus graves choses qui puissent arriver à bord.


La navette Endeavour et sur le bas un Soyuz de secours arrimés à l'ISS

Dans les procédures de l’ISS, il est prévu en cas de danger de pouvoir la laisser à l’abandon (en pilotage automatique) et de rentrer dare-dare sur la Terre via le Soyuz toujours stationné là-haut (parfois il y en a même deux si le deuxième équipage est encore là). Depuis la mise en service de l’ISS en 2000, cela ne s'est jamais produit mais en revanche on a frôlé plusieurs fois l’accident. Par exemple le 28 juin 2011, les 6 astronautes de l’ISS ont dû regagner leurs canots de sauvetage (les deux Soyuz) à cause d’une alerte tardive, justement sur des débris spatiaux. Ce genre d’alertes est fréquente et normalement les équipes de l’ISS font monter ou descendre la station pour éviter les collisions. Comme le dit très bien Gravity, la station spatiale chinoise (enfin future station spatiale) dispose de vaisseaux de secours Shenzou.

Petite anecdote à ce sujet : lors d’une de mes premières discussions avec Jean-François Clervoy en 2001, je lui avais demandé comme il ferait si un astronaute tombait gravement malade et avait besoin d’une opération chirurgicale urgente (mon père est chirurgien et ancien chef de la Croix-Rouge au Biafra…). Il m’a dit que ce ne serait pas un problème. Tout d’abord les astronautes subissent des tests médicaux très poussés  avant le départ et il est peu probable qu’une maladie nécessitant une intervention se déclenche pendant les mois qui suivent. La NASA préconise par exemple aussi l’appendicectomie préventive (voir à ce titre la thèse de médecine de Fabrice Entine en 2006 à l’université Claude Bernard).  Si une maladie survenait, les astronautes comme Clervoy ont tous suivi des cours de chirurgie de base (comme certains capitaines de bateaux). Si le cas était grave (une blessure par exemple), la vie de l’astronaute primerait et il suffirait de regagner la Terre en Soyuz, ce qui ne prendrait que quelques minutes. En plaisant je lui disais qu’il pouvait donc rentrer déjeuner chez lui à midi ! Ce n’est pas aussi simple…

La rentrée dans l’atmosphère et la noyade à l’arrivée


La rentrée dans l’atmosphère est aussi une étape critique. L’angle d’entrée est très important si l’on veut réduire les frictions et donc la chaleur. Sandra Bullock manque de brûler évidemment car la trajectoire qu’elle suit paraît évidemment loin d’être optimale. La dernière étape de l’épopée incroyable la confronte à un dernier danger : la noyade à l’arrivée. 



Cet épisode est déjà survenu à Gus Grissom, le second américain dans l’espace à l’intérieur d’une capsule Mercury. Après un vol suborbital de 15 minutes, sa capsule a amerri. Le système d’ouverture s’est déclenché trop tôt, l’eau a submergé la capsule et a failli noyer Gus Grissom dont la combinaison se remplissait. Gus Grissom est mort en janvier 1967 avec Ed White et Robert Chaffee, lors d’un test au sol, dans la capsule Apollo 1. Celle-ci avait pris feu dans des conditions encore largement inexpliquées.

Ce film exceptionnel nous démontre à quel point la vie des astronautes est périlleuse et donc leur activité admirable. On peut en juger par l’épisode survenu récemment le 21 août 2013 à l’astronaute Luca Parmitano qui faillit mourir noyé dans sa combinaison lors d’une sortie extravéhiculaire. Allez sur ce lien et écoutez son interview ainsi que le commentaire par Jean-François Clervoy, on a failli frôler la catastrophe si Parmitano (comme tous les astronautes) n’avait pas eu ce sang froid et cette connaissance des phénomènes physiques.

La Terre vue depuis l’espace



Outre les péripéties qui surviennent aux astronautes, la beauté de ce film réside dans les images de la Terre en toile de fond. Ces images sont le point de départ du projet Siècle bleu, comme je l’explique sur ma page Regards d’astronautes. Au mois de septembre, j’ai d'ailleurs écrit un article dans le premier numéro de la superbe revue Orbs sur ce thème : « La Terre vue de l’Espace, une vision pour changer le monde ». Vous pouvez commander ici le numéro #1.



Voici un dernier passage du blog de Paul Gardner où il décrit la beauté de la Terre vue depuis l’orbite terrestre.

Ça y est ! Mon rêve, notre rêve, s’est enfin réalisé ! Grâce à vous ! Après toutes ces années d’entraînement et d’attente, me voilà dans l’espace ! Merci !
Je n’arrive pas à sécher mes larmes. La beauté du spectacle est trop violente. La Terre défile sous moi et dévoile ses charmes, un à un. Elle est belle, merveilleusement belle. Sereine. Vaste, infiniment vaste et pourtant à la fois si petite : à 400 kilomètres d’altitude où je me trouve, je peux d’un coup d’œil apercevoir un pays ou même un continent.

Les paysages sont plus majestueux les uns que les autres et changent sans cesse. Notre capsule effectue un tour de la Terre en moins d’une heure et demie. À cette allure, si vous quittez des yeux le hublot quelques minutes, ce n’est plus l’Afrique qui vous fera face mais l’océan Indien. Les étendues de sable doré cèderont par magie leur place aux eaux turquoise, aux sommets enneigés, aux étendues de forêts verdoyantes… La diversité des couleurs de notre planète est prodigieuse
 D’ici, la vitesse est pourtant imperceptible. La cadence paraît au contraire apaisante, lancinante, berçante. La contemplation de la Terre nous entraîne dans de longues séances de méditation. Nous ne sommes malheureusement que quelques centaines à avoir eu la chance d’admirer ce diaporama enchanté, comme cette vue du lac Nasser et de ses ramifications dendritiques, prise tout à l’heure au-dessus de la frontière qui sépare l’Égypte et le Soudan. Notion de frontière qui n’a d’ailleurs plus d’ici la moindre signification.

J’attends vraiment que le film sorte dans les salles IMAX pour retourner le voir.

Un dernier point : si vous connaissez Alfonso Cuarón, dites lui que j’admire son travail. Dites lui aussi que s’il manque de projets, je rêverais qu’il adapte Siècle bleu au cinéma ! Si vous le connaissez, mon email est ici ! Il est mexicain, comme mon autre héros, Abel Valdès Villazón, et Cuarón a déjà tourné avec Gael Garcia Bernal, l'acteur que j'aimerais tant voir dans le rôle d'Abel :-)