mercredi 11 septembre 2013

"En bande organisée" de Flore Vasseur


En 2010, Flore Vasseur avait signé un roman remarquable sur la folie des marchés financiers : Comment j’ai liquidé le siècle. Sorti un peu avant le procès Kerviel, elle y imaginait une gigantesque bulle spéculative haussière démarrée et entretenue par un trader aux mains du Bilderberg Group. Au-delà de la charge impitoyable contre les dérives de la haute finance, c’était une fresque sociale d’une grande importance, qui s’interroge sur ces Frankenstein au cerveau surdéveloppé et aux valeurs atrophiées issus des meilleures écoles de ce pays (Flore Vasseur est passée par HEC) et capables de tout, comme dans un jeu, pour gagner un peu plus et impressionner leurs chefs et leurs pairs.

Flore Vasseur nous revient en cette rentrée littéraire avec En bande organisée, nouveau thriller économico-politique qui cette fois-ci traite du maquillage des comptes des pays candidats à l’adhésion à l’euro par de grands banquiers comme Goldman Sachs. L’état de déliquescence financière de l’Europe et de l’Euro serait à rechercher dans ces falsifications de très grande ampleur. Le thème peut paraître austère, mais la vulgarisation est excellente, le livre peut être lu par n’importe qui. Pour ceux qui voudraient les détails sur ces magouilles, cela consiste à refourguer des swaps de devise permettant de temporairement générer des gains de court-terme permettant de satisfaire la fameuse règle des 3% tout en empêchant de la tenir par la suite à cause du prix à payer pour ces produits dérivés. Flore Vasseur a eu la bonne idée de parsemer son roman de flash-codes pour reléguer à l’extérieur les explications les plus techniques. Elle recommande ainsi (et moi aussi) de lire cet article de ZeroHedge ou ce mémo du CFR de 2001, qui donnent un autre éclairage sur la crise grecque et la situation en Italie.
Pour ceux qui ne sont pas intéressés par ces éléments financiers, rassurez-vous est aussi un très grand roman. Il raconte l’histoire de sept anciens camarades d’HEC qui atteignent la quarantaine et occupent les plus hautes fonctions de la société. Parmi les hommes, l’un est « dircab » au Ministère de l’Economie et des Finances, l’autre est responsable de la communication de Goldman Sachs (oups pardon, Folman Pachs), le troisième intervient auprès des gouvernements quand il semble ne plus y avoir de solutions (la partie où Jérémie aide l’Islande est remarquable), le dernier a tout plaqué pour devenir hacker, aide les officines d’Etat et participe au mouvement Anonymous. Chez les femmes, une responsable d’une grande agence de communication, une journaliste et une femme au foyer. Tous ces couples qui paraissent au premier abord si glamour sont en fait au bord du naufrage. La vie de ces individus nous donne envie de vomir, non par leur opulence, mais par le vide affectif et humain qui s’en dégage.
Le style, déjà affûté dans le précédent, atteint ici une précision chirurgicale. Au niveau d’un Brett Easton Elllis.

Sébastien masque son désarroi. Pour Folman Pachs il massacre sa vie de père (il confond ses jumelles), d’homme (il ne touche plus Céline) et de fils (il n’a plus le temps d’appeler ses parents).
Elle regarde autour d’elle : sa cuisine briquée, sa baie vitrée sans traces, sa maison sans âme. Sa vie sans joie.
Payer une inconnue en mode survie pour avoir le privilège de passer sa journée loin de ses enfants et rentrer le soir pour leur hurler dessus : c’est donc ça l’émancipation féminine.
Ils se sont connus à vingt ans, bébés requins, sur le campus, ils étaient déjà une série de clichés mal empilés : la génération Just do it. L’enfance s’est dissoute dans l’effort puis dans l’alcool.
Ils ont des connexions partout, des liens nulle part.
Le calcul a pris le pas sur le raisonnement, le cynisme sur l’esprit critique.
Ils sortent de l’église en traînant les pieds, confus, lourds de ne savoir ce qu’ils pleurent vraiment : leur ami, leur jeunesse, leurs illusions ?

La peinture de la déchéance des personnages m’a rappelé Les Choses de Georges Pérec. La rédemption de certains d'entre eux est aussi passionnante. De nombreux passages sont admirables comme l’évocation de la cantine de Jérémie qu’il n’a rouverte depuis son déménagement de Hong Kong et grâce à laquelle il effectue un voyage dans le temps. Sa time capsule. Ou la visite de la maison de repos où Jérémie voulait « placer » son père. J’avais ressenti la même chose pour ma grand-mère, qui n’avait pas tenu deux semaines.

Ce livre contient également d’innombrables informations qui raviront le lecteur curieux ou éveillé. Par exemple, peu de gens savent que les imprimantes laser laissent un code invisible (de minuscules points jaunes) permettant d’identifier le numéro de série du périphérique… Cela n’est pas du tout de la fiction, il s’agit d’un scandale révélé en 2005 par l’EFF (Electronic Frontier Foundation) mais qui n’avait fait que peu de bruit (je comptais me servir de cette information dans l’écriture d’Ombres et Lumières). Si vous voulez vous transformer en corbeau… n’utilisez pas d’imprimante !


Si cela vous révolte, allez sur : www.seeingyellow.com
Parmi les auteurs qui se sont aventurés dans le monde de la finance, la plupart nous ont livré au mieux des caricatures ratées (j'en ai lu beaucoup). Flore Vasseur a signé elle un très grand livre qui j'espère contribuera à faire ouvrir les yeux à une classe politique affaiblie et aveugle sur les dégâts causés par la voracité.
PS : Petite remarque au correcteur : Helmut Kohl ne s’écrit pas Khol (p. 77), le siège de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 était rue d’Enghien (p. 180) et non pas rue de l’Echiquier (j’habite rue de l’Echiquier), et enfin les prostituées ne sont pas (encore) au métro Bonne Nouvelle mais à Strasbourg Saint-Denis. 

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