En 2010, Flore Vasseur avait signé un roman remarquable sur
la folie des marchés financiers : Comment j’ai liquidé le siècle. Sorti un peu avant le procès Kerviel, elle y
imaginait une gigantesque bulle spéculative haussière démarrée et entretenue
par un trader aux mains du Bilderberg Group. Au-delà de la charge impitoyable contre les dérives de la haute finance, c’était une fresque sociale d’une
grande importance, qui s’interroge sur ces Frankenstein au cerveau surdéveloppé
et aux valeurs atrophiées issus des meilleures écoles de ce pays (Flore Vasseur
est passée par HEC) et capables de tout, comme dans un jeu, pour gagner un peu
plus et impressionner leurs chefs et leurs pairs.
Flore Vasseur nous revient en cette rentrée littéraire avec En
bande organisée, nouveau thriller
économico-politique qui cette fois-ci traite du maquillage des comptes des pays
candidats à l’adhésion à l’euro par de grands banquiers comme Goldman Sachs.
L’état de déliquescence financière de l’Europe et de l’Euro serait à rechercher
dans ces falsifications de très grande ampleur. Le thème peut paraître austère, mais la vulgarisation
est excellente, le livre peut être lu par n’importe qui. Pour ceux qui
voudraient les détails sur ces magouilles, cela consiste à refourguer des swaps
de devise permettant de temporairement générer des gains de court-terme
permettant de satisfaire la fameuse règle des 3% tout en empêchant de la tenir
par la suite à cause du prix à payer pour ces produits dérivés. Flore Vasseur a
eu la bonne idée de parsemer son roman de flash-codes pour reléguer à
l’extérieur les explications les plus techniques. Elle recommande ainsi (et moi
aussi) de lire cet
article de ZeroHedge ou ce mémo
du CFR de 2001, qui donnent un autre éclairage sur la crise grecque et la
situation en Italie.
Pour ceux qui ne sont pas intéressés par ces éléments financiers,
rassurez-vous est aussi un très grand roman. Il raconte l’histoire de sept
anciens camarades d’HEC qui atteignent la quarantaine et occupent les plus
hautes fonctions de la société. Parmi les hommes, l’un est « dircab »
au Ministère de l’Economie et des Finances, l’autre est responsable de la
communication de Goldman Sachs (oups pardon, Folman Pachs), le troisième
intervient auprès des gouvernements quand il semble ne plus y avoir de
solutions (la partie où Jérémie aide l’Islande est remarquable), le dernier a
tout plaqué pour devenir hacker, aide les officines d’Etat et participe au
mouvement Anonymous. Chez les femmes, une responsable d’une grande agence de
communication, une journaliste et une femme au foyer. Tous ces couples qui
paraissent au premier abord si glamour sont en fait au bord du naufrage. La vie
de ces individus nous donne envie de vomir, non par leur opulence, mais par le
vide affectif et humain qui s’en dégage.
Le style, déjà affûté dans le précédent, atteint ici une
précision chirurgicale. Au niveau d’un Brett Easton Elllis.
Sébastien masque son désarroi. Pour Folman Pachs il
massacre sa vie de père (il confond ses jumelles), d’homme (il ne touche plus
Céline) et de fils (il n’a plus le temps d’appeler ses parents).
Elle regarde autour d’elle : sa cuisine briquée, sa
baie vitrée sans traces, sa maison sans âme. Sa vie sans joie.
Payer une inconnue en mode survie pour avoir le privilège
de passer sa journée loin de ses enfants et rentrer le soir pour leur hurler
dessus : c’est donc ça l’émancipation féminine.
Ils se sont connus à vingt ans, bébés requins, sur le
campus, ils étaient déjà une série de clichés mal empilés : la génération
Just do it. L’enfance s’est dissoute dans l’effort puis dans l’alcool.
Ils ont des connexions partout, des liens nulle part.
Le calcul a pris le pas sur le raisonnement, le cynisme
sur l’esprit critique.
Ils sortent de l’église en traînant les pieds, confus,
lourds de ne savoir ce qu’ils pleurent vraiment : leur ami, leur jeunesse,
leurs illusions ?
La peinture de la déchéance des personnages m’a rappelé Les
Choses de Georges Pérec. La rédemption de certains d'entre eux est aussi passionnante. De nombreux
passages sont admirables comme l’évocation de la cantine de Jérémie qu’il n’a
rouverte depuis son déménagement de Hong Kong et grâce à laquelle il effectue
un voyage dans le temps. Sa time capsule. Ou la visite de la maison de repos où Jérémie voulait
« placer » son père. J’avais ressenti la même chose pour ma
grand-mère, qui n’avait pas tenu deux semaines.
Ce livre contient également d’innombrables informations qui
raviront le lecteur curieux ou éveillé. Par exemple, peu de gens savent que les
imprimantes laser laissent un code invisible (de minuscules points jaunes)
permettant d’identifier le numéro de série du périphérique… Cela n’est pas du
tout de la fiction, il s’agit d’un scandale révélé en 2005 par l’EFF
(Electronic Frontier Foundation) mais qui n’avait fait que peu de bruit (je
comptais me servir de cette information dans l’écriture d’Ombres et Lumières).
Si vous voulez vous transformer en corbeau… n’utilisez pas d’imprimante !
Si cela vous révolte, allez sur : www.seeingyellow.com
Parmi les auteurs qui se sont aventurés dans le monde de la finance, la plupart nous ont livré au mieux des caricatures ratées (j'en ai lu beaucoup). Flore Vasseur a signé elle un très grand livre qui j'espère contribuera à faire ouvrir les yeux à une classe politique affaiblie et aveugle sur les dégâts causés par la voracité.
PS : Petite remarque au correcteur : Helmut Kohl
ne s’écrit pas Khol (p. 77), le siège de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 était rue
d’Enghien (p. 180) et non pas rue de l’Echiquier (j’habite rue de l’Echiquier),
et enfin les prostituées ne sont pas (encore) au métro Bonne Nouvelle mais à Strasbourg
Saint-Denis.
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