Lavoisier
L’une des questions centrales abordées dans mon roman Siècle
bleu concerne la façon dont les sociétés humaines doivent s’organiser pour
s’adapter à un monde aux ressources finies. Lorsque je me lancerai dans la
rédaction du troisième tome (je suis encore en pleine phase de
lecture/documentation), cette question devrait être centrale. Aujourd’hui, nous
allons parler d’un concept capital : l’économie circulaire.
Notre mode de vie « moderne » : le constat
d’un échec
Les systèmes vivants existent et se développent sur Terre
depuis des milliards d’années. Malgré cette activité débordante, dans le monde
vivant, il n’y a pas de décharges : les déchets d’une espèce forment la
nourriture d’une autre. L’énergie initiale est fournie par le soleil, les
choses poussent, puis meurent et leurs nutriments retournent à la Terre de
façon saine. La nature et la vie ont réussi à atteindre ce que nous
recherchons : la prospérité et l’harmonie (pas toujours si
pacifique !) dans un monde fini.
Au lieu de ce fonctionnement en cycle, l’humanité a bifurqué
depuis quelques siècles vers un modèle linéaire
«extraire-fabriquer-consommer-jeter» qui
ne fonctionne pas. Avec une population toujours plus nombreuse et à l’empreinte
croissante, ce concept atteint aujourd’hui ses limites, il pollue la nature,
les décharges sont pleines, on gaspille et épuise les ressources naturelles, ce
qui augmente les coûts et détruit des emplois. Là où la nature a réussi à
atteindre la prospérité et l’harmonie (pas toujours si
pacifique !) dans un monde fini, nous
avons échoué et nous nous dirigeons vers l’austérité et le chaos.
Ce modèle de production et de consommation n’est donc pas
durable. Il faut bifurquer vers un autre
modèle, et là encore nous pouvons nous inspirer de la nature (voir mon poste
sur le biomimétisme). L’économie circulaire, concept assez récent, peut révolutionner la façon
dont nous concevons et consommons les produits, et surtout les réutilisons en
fin de vie.
C’est quoi l’économie circulaire ?
L’économie circulaire tâche de répondre à une question que
la nature connaît bien : comment faire de nos déchets une matière première,
c’est-à-dire des ressources et des richesses, plutôt qu’un fardeau ?
Pour cela, il faut inventer un nouveau modèle économique
qui, plutôt que de continuer à diriger les matières premières vers les
décharges ou les incinérateurs, encourage les producteurs à les réutiliser
encore et encore, pour construire leurs produits, et à faire revenir à la Terre
les parties biologiques de ceux-ci.
L’enjeu est donc de passer d’une économie en cycle ouvert
à une économie en cycle fermé, une économie régénérative, une économie
circulaire.
La différence avec le recyclage
Pour beaucoup, ce concept peut ne paraître neuf et rappelle
étrangement le recyclage bien connu. Pourtant il y a une différence notoire et
l’économie circulaire cherche à aller beaucoup plus loin. Contrairement au
recyclage qui cherche à valoriser des déchets de produits non conçus pour être
recyclés et qui ne reviennent pas forcément au producteur d’origine, ici il
s’agit de concevoir des filières « arrière » permettant à un produit
de revenir à son fabriquant d’origine ou à un partenaire qui en a besoin
(notion d’écosystème industriel) pour être désassemblé et réhabilité.
La REP et les éco-organismes
La notion de « responsabilité
élargie du producteur » (REP) introduite dans les directives
européennes et la loi française sont une réponse à ce défi, de retour et
traitement sélectif. Pour y parvenir, dans les produits de grande consommation,
les entreprises d’un même secteur ont fait parfois le choix de s’associer
en éco-organisme comme le COREPILE (8100 tonnes de piles et
accumulateurs collectées en 2012) ou RÉCYLUM
(21 000 points de collecte et 20 000 tonnes de lampes récupérées en 6 ans).
Le rêve d’une économie des chaînes inverse
Aujourd’hui il existe des points de collecte pour les piles,
les lampes, les vieux médicaments, les capsules de bouteille, les habits usés…
La constitution des filières inverses pose un vrai problème économique si elle
n’est pas massifiée. En effet, si chaque producteur doit créer des points de
collecte, gérer la logististique pour les ramener jusqu’à ces usines,
économiquement ce ne sera pas rentable pour tous et le consommateur n’y
comprendra plus rien (déjà aujourd’hui on ne sait pas toujours où ramener les
choses).
Je me demande donc économiquement s’il ne serait pas
intéressant de créer un réseau mutualisé de boutiques dont le seul objectif
serait de récolter/trier ce que les gens ramènent. C’est une idée « business » qui me trotte dans la
tête depuis longtemps. Si on rêve un peu, ces boutiques pourraient à terme
devenir à terme l’équivalent des supermarchés mais à la fonction exactement
inverse, les supermarchés pourraient d’ailleurs abriter (ou opérer ?) une
partie de ces réseaux de boutiques.
Pour que cela marche, il faudrait que les consommateurs
aient un intérêt immédiat à ramener les produits, en aidant rémunéré (système
de consigne) ou en obtenant des bons d’achat (mais il faudra alors veiller à ce
que l’effet rebond de consommation soit moins néfaste que le retour des
produits). Cela fera l’objet d’un autre article.
Enfin, on pourrait mutualiser les sites de déconstruction ou
remise en état, il y a un pan entier de l’économie ici qui pourrait être créé,
très créateur d’emploi et d’espoir.
Impact sur la conception
Une fois la filière « arrière » permettant de
ramener l’objet au producteur en place, ce n’est pas terminé. La plupart des
biens de consommation n’ont pas été conçus pour être récupéré et le fabricant
(qui comme le consommateur a été complètement déresponsabilisé depuis
l’explosion de la société de consommation) devra certainement revoir tout son
processus de conception/fabrication pour
que les objets soient plus faciles à désassembler, remanufacturés puis
redistribués. Cela nécessitera dans la plupart des cas des efforts de recherche
et développement très importants (nous le verrons dans un prochain post
consacré au fabricant américain de moquettes Interface), mais qui devraient
galvaniser la créativité humaine et aussi permettre de relocaliser des emplois
(en effet il sera plus simple d’avoir les entreprises en charge de la
réhabilitation proches des points de consommation).
Changer les habitudes et le rapport aux consommateurs
Pour que l’économie circulaire fonctionne, il faut repenser
la notion de « ventes » et il faut voir le consommateur comme un
utilisateur (d’ailleurs une grande partie du problème actuel vient de ce mot
« consommateur » qui donne l’impression que nous sommes des
« trous noirs » qui aspirent la matière). Une façon d’y arriver est
de ne plus vendre les produits mais de les louer. Michelin le fait déjà pour
les pneus de poids lourds ou KPN pour ses téléphones. Je vous donnerai aussi
dans un projet post l’exemple d’Interfaces, un fabricant de moquettes américain
qui depuis 20 ans est le principal innovateur de l’économie circulaire. Le
passage de la vente à la location change tout car le producteur a la
responsabilité du produit en fin de vie. Donc il a un intérêt à ce que le
produit soit réellement recyclable et dure le plus longtemps possible, marquant
la fin de l’obsolescence programmée, sujet sur lequel je vous recommande
ardemment le reportage d’Arte.
Le consommateur peut y gagner, à condition que le coût de la
location soit dans la durée moins cher que le coût de l’achat. Toute la
tendance actuelle autour de l’économie du partage (covoiturage, couch surfing,
partage d’outils ou d’objets domestiques) va également dans ce sens.
Pour les producteurs, l’économie circulaire a aussi
potentiellement beaucoup d’intérêt, à condition qu’ils en jouent le jeu. S’ils
conçoivent des produits qui se prêtent bien à la réhabilitation, ils limiteront
leurs dépenses liées aux matières premières et au traitement des déchets. De
plus, dans un monde où les matières premières vont venir à manquer, cela
améliorera leur sécurité d’approvisionnement et réduira la volatilité des prix
des entrants. La Chine, l’un des Etats les plus conscients de l’importance des
ressources (même si elle consomme beaucoup), en a fait l’une des pierres
angulaires de sa stratégie.
L'adoption de modèles circulaires pourrait générer une économie nette mondiale par an de matières premières de 700 milliards de dollars pour le secteur des biens de consommation, selon un rapport publié fin janvier par la Fondation Ellen MacArthur, ex-navigatrice et ardente avocate de cette nouvelle économie.
Les références
Il y a de nombreuses références sur l’économie circulaire.
- Si vous le souhaitez, tout d'abord vous pouvez aussi écouter ma chronique du 7 juin 2013 sur France Inter consacrée à ce sujet dans l’émission de Frédéric Lopez « On va tous y passer ». J’interviens à 31’55 pendant environ 10 minutes.
- Natural
Capitalism : ce livre publié par Amory Lovins, Paul Hawken et L. Hunter Lovins du Rocky Mountain Institute est la bible sur ce sujet, je l'ai découvert en 1999. Tous les chapitres du livre sont disponibles gratuitement en ligne :
- L'objectif de la Fondation Ellen Mc Arthur créée en 2010 est précisément de faciliter la transition vers une économie circulaire. Les deux rapports sur le thème "Towards the circular economy" rédigés avec McKinsey sont excellents. Tout le site est extrêmement instructif.
- La France s'est dotée en 2013 d'un Institut de l'économie circulaire qui mène des travaux très intéressants.
- L'économie circulaire occupera une place centrale lors de la conférence environnementale du 20 et 21 septembre prochain.
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2 commentaires:
On peut déjà tous agir pour mettre en place l’économie circulaire, nous avons plus de pouvoir que nous le pensons en faisant un peu attention à nos modes de consommation. Je le fais depuis longtemps avec mes cartouches d’encre que je réutilise plutôt que recycle : https://www.selecteo.fr/le-blog/23-cartouches-originales-remanufacturees-compatibles-recyclees-quelles-differences
Le lien n'a pas l'air de fonctionner, je le remets si ça peut intéresser : article selecteo cartouches remanufacturées
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