En 1865, Jules Verne publiait De la Terre à la Lune chez Hetzel. 5 ans plus tard il en publiait la suite, Autour de la Lune. Dans le passé, j’en avais lu la version pour enfants, mais ce n’est que l’an dernier que je les ai réellement découverts. Je suis resté sans voix. Ces deux livres sont une synthèse époustouflante des connaissances de l’époque dans des domaines aussi variés que la mécanique, l'astronomie, la balistique, la finance, la gestion de projet, la littérature (sur la Lune), la chimie des explosifs, les matériaux... mais ce n’est pas le plus fort : Jules Verne, comme d’habitude, a complètement assimilé ce matériel et en a fait la base d’un thriller haletant et surtout époustouflant de vision. 100 ans avant Apollo 11, Jules Verne avait TOUT prédit :
- L’action se déroule aux Etats-Unis (à l’époque, il fallait vraiment être perspicace). Il nous dit : « Rien ne saurait étonner un Américain. On a souvent répété que le mot « impossible » n’était pas français, on s’est évidemment trompé de dictionnaire. En Amérique, tout est facile, tout est simple, et quant aux difficultés techniques, elles sont mortes avant d’être nées. Entre le projet Barbicane et sa réalisation, pas un véritable Yankee ne se fût permis d’entrevoir l’apparence d’une difficulté. Chose dite, chose faite ».
- L’ampleur de la tâche, la ferveur populaire et l’organisation du projet ressemblent à s’y méprendre au projet Apollo
- L’obus conique est remplacé par un projectile cylindroconique qui ressemble à s’y méprendre à la capsule Apollo
- Il y a trois passagers à l’intérieur de la capsule (si on exclue le chien), comme pour Apollo. Deux Américains mais un Français (le sémillant Michel Ardan)
- Il prévoit que le voyage se fera en 97 heures et treize minutes, Apollo 11 aura mis 102 heures pour se poser dans la Mer de la Tranquilité.
- La columbiad (le canon qui tirera la capsule) est localisée en Floride, à proximité du Cap Canaveral (il décrit d’ailleurs la rivalité entre le Texas et la Floride, Texas qui est aujourd’hui aussi un haut lieu du spatial)…
- La capsule de Jules Verne (ci-dessous la gravure de l'époque) amerrit à deux jours de navigation de San Francisco. Celle d’Apollo 11 s’est posée non loin de là, à l’ouest de Hawaï (ci-dessous la mission de récupération par l'USS Hornet)…
Ces soins donnés, les voyageurs observèrent attentivement la Terre et la Lune. La Terre n’était plus figurée que par un disque cendré que terminait un croissant rétréci que la veille ; mais son volume restait encore énorme, si on le comparait à celui de la Lune qui se rapprochait de plus en plus d’un cercle parfait.
« Parbleu ! dit alors Michel Ardan, je suis vraiment fâché que nous ne soyons pas partis au moment de la Pleine-Tere, c’est-à-dire lorsque notre globe se trouvait en opposition avec le Soleil.
- Pourquoi ? demanda Nicholl.
- Parce que nous aurions aperçu sous un nouveau jour nos continents et nos mers, ceux-ci resplendissants sous la projection des rayons solaires, celles-là plus sombres et telles qu’on les reproduit sur certaines mappemondes ! J’aurais voulu voir ces pôles de la Terre sur lesquels le regard de l’homme ne s’est encore jamais reposé !
- Sans doute, répondit Barbicane, mais si la Terre avait été pleine, la Lune aurait été nouvelle, c’est-à-dire invisible au milieu de l’irradiation du Soleil. Or, mieux vaut pour nous voir le but d’arrivée que le point de départ.
- Vous avez raison, Barbicane, répondit le capitaine Nicholl, et d’ailleurs quand nous aurons atteint la Lune, nous aurons le temps, pendant ces longues nuits lunaires de considérer ce globe où fourmillent nos semblables !
C’est pour cette raison que toutes les missions Apollo sont parties avec la pleine Lune ou presque, afin aussi de ne pas à avoir à affronter la glaciale nuit lunaire (les douze astronautes d’Apollo sont toujours repartis avant). La vision du globe terrestre sur le chemin du retour a laissé évidemment un souvenir impérissable aux astronautes.
J’aime aussi beaucoup cette tirade de Michel Ardan, optimiste invétéré :
Mes chers auditeurs, reprit-il, à en croire certains esprits bornés – c’est le qualificatif qui leur convient –, l’humanité serait renfermée dans un cercle de Popilius qu’elle ne saurait franchir, et condamnée à végéter sur ce globe sans jamais pouvoir s’élancer dans les espaces planétaires ! Il n’en est rien ! On va aller à la Lune, on ira aux planètes, on ira aux étoiles, comme on va aujourd’hui de Liverpool à New York, facilement, rapidement, sûrement, et l’océan atmosphérique sera bientôt traversé comme les océans de la Lune ! La distance n’est qu’un mot relatif, et finira par être ramenée à zéro. »
Pour ceux comme moi qui ne savaient pas ce qu’est le Cercle de Popilius, voici la définition du Littré :
Cercle de Popilius, cercle qu'avec sa baguette Popilius Lénas, député de Rome, traça autour du roi de Syrie Antiochus Épiphane, lui défendant de franchir cette limite avant d'avoir répondu catégoriquement à la demande du peuple romain ; d'où, figurément et par allusion, situation dont on ne peut sortir qu'en accomplissant une certaine condition. Il fallait me décider dans deux heures : c'était pour moi le cercle de Popilius.
En conclusion, Jules Verne est vraiment un visionnaire d'exception. Si tous nos soient-disants "érudits" pouvaient être aussi imaginatifs (s'ils en étaient capables, ils n'oseraient de toute façon pas, de peur d'être ridiculisés). C’est dommage en tout cas que Jules Verne ne nous ait pas légué un manuel pour sortir de la crise actuelle !
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