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vendredi 22 octobre 2010

Tragédie des biens communs dans un monde fini



L’idée que nous vivons dans un monde fini m’obsède. Elle est d’ailleurs la clef de voûte du projet Siècle bleu : ce siècle sera celui du monde fini, face à cela l’humanité a le choix d’apprendre à vivre avec les limites de notre monde avec tout ce que cela implique comme changements (option dite "siècle bleu") ou bien basculer dans le chaos (cf. Genèse de Siècle bleu).


L’humanité tâtonne et n’a pour l’instant pas réussi à trouver un mode de gouvernance et une organisation économique qui permettent de gérer la pénurie à venir des différentes ressources naturelles. Si rien n’est fait, nous serons victimes inéluctablement de ce que l’économiste Garreth Hardin appelait la Tragédie des biens communs (tragedy of commons) dans un article célèbre paru en 1968 dans la revue Science (l’article est disponible intégralement et gratuitement).


Le texte original de Garrett Hardin décrit comment l'accès libre à une ressource limitée pour laquelle la demande est forte mène inévitablement à la surexploitation de cette ressource et finalement à sa disparition. Chaque individu ayant un intérêt personnel à utiliser la ressource commune de façon à maximiser son usage individuel, tout en distribuant entre chaque utilisateur les coûts d'exploitation, est la cause du problème.


L’économie de marché qui domine le monde contemporain accélérera ce processus, car elle n’offre pas de rétroactions permettant de gérer la pénurie, la hausse des prix (rétroaction prévue par le marché) n’intervenant bien souvent que trop tard ou jamais. On le voit par exemple pour l’exploitation des stocks de poisson qui s’écroulent en silence. La morue d'Atlantique n'a pas été secourue par le marché (qui se contente aussi bien de colin ou d'une autre espèce), elle a disparu. On le voit plus généralement dans la biodiversité à laquelle l’économie traditionnelle ne donne pas de prix. Le rapport Sukhdev présenté mercredi au sommet international sur la biodiversité qui se tient à Nagoya (Japon) sous l'égide de l'ONU (qui a déclaré 2010 Année Internationale de la biodiversité), nous a rappelé que les services rendus par la nature étaient chiffrables à 23 500 milliards de dollars, soit la moitié du PIB mondial. A nouveau, je ne suis pas sûr qu'intégrer cela artificiellement dans l'économie de marché, comme cela a été le cas avec le CO2, changera quelquechose. Le problème est l'état d'esprit et Einstein disait bien : "Aucun problème ne peut être résolu, sans changer l'état d'esprit qui l'a engendré".


Si la disparition d’espèces animales ou végétales n’émeut pas outre mesure nos décideurs, la pénurie d’autres ressources provoque en revanche un grand stress. On le voit en ce moment en France avec la grève des dépôts de carburant qui préfigure d'ailleurs l’avenir proche si rien n’est fait pour développer des alternatives aux énergies fossiles (et surtout une réduction massive de la demande énergétique). Mais ces alternatives elles-mêmes vont buter sur la finitude d’autres ressources. Prenons par exemple, les voitures électriques (le mieux évidemment étant de n’avoir pas de voitures) qui requièrent du lanthane pour les accumulateurs ou bien les éoliennes qui nécessitent 600 kilos de néodyme pour leurs aimants.


Le lanthane et le néodyme font malheureusement partie de ce que l’on appelle les « terres rares » (ou « métaux rares ») dont 96% de la production est assurée par la Chine et qui sont utilisées dans toutes les industries de pointe (comme l'aéronautique, la défense ou l'électronique).


Ces mystérieux éléments chimiques font depuis un an les titres des journaux car la Chine s’en sert comme d’une arme diplomatique. L’an dernier elle a réduit de 30% ses exportations de terres rares et elle vient d’annoncer une nouvelle réduction de 40%. Officiellement la Chine souhaite d’abord satisfaire sa demande intérieure en plein essor et réorganiser cette filière (qui comportait 130 acteurs épars et que la Chine veut réduire à 3 ou 4). Officieusement, suite à la collision entre un bateau des gardes-côtes japonais et un navire de pêche chinois au large des îles Senkaku (pour les Japonais, les îles étant appelées Diaoyu côté chinois), revendiquées par les deux pays, elle a fait comprendre au Japon sa dépendance des exportations chinoises. Et depuis récemment, c’est les Etats-Unis qui en font les frais (suite à une plainte déposée auprès de l’OMC pour subventions illicites au secteur des énergies renouvelables). Il n’est pas la peine de préciser que les cours de ces métaux ont explosé.


Pour résoudre la tragédie des communs il y a habituellement plusieurs solutions : la nationalisation de la ressource ou l’intervention des pouvoirs publics pour en réguler la consommation. Le problème est qu’ici on parle de ressources dispersées (inégalement) à travers le globe et la nationalisation par l’ONU n’est pas envisageable, pas plus que la régulation qui nécessiterait encore l’organisation de « grands machins » comme le sommet de Copenhague qui dureront un temps infini et ne serviront qu’à montrer la faible cohésion des humains entre eux. Les ressources finies feront donc l’objet d’armes diplomatiques pour ceux qui les possèdent et éveilleront les convoitises des pires mafias. Il faut bien l’avoir en tête pour préparer la transition. A cela, on ne peut qu’essayer de se ramener au bon sens, très bien résumé par ce poème indien :


Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière asséchée, le dernier poisson pêché, l'homme s'apercevra que l'argent n'est pas comestible.


samedi 6 février 2010

L'arrêt du programme Constellation : One Giant Stop for Mankind !


Je profite d’une pause entre deux biberons (je suis papa depuis deux semaines d’une petite Lucie !) pour mettre à jour ce blog. Avec la sortie imminente du roman et mes activités professionnelles diurnes, cela ne laisse plus beaucoup de temps...


Je le redoutais depuis un bon moment, mais Barack Obama l’a finalement fait : il a annulé le programme Constellation. Ce programme de la NASA lancé par W. Bush en 2004 avait pour objectif de renvoyer des Américains sur la Lune, d’y installer une base permanente et de partir ensuite à la conquête de Mars et du reste du système solaire. Avant même son élection, Obama avait indiqué que ce programme lui déplaisait car il manquait d’ambition et de nouveauté, et qu'il affecterait ses crédits à l'éducation (cf. post Constellation : Obama versus McCain). Compte tenu de l’enjeu économique pour le Texas et la Floride, Obama a bien compris qu’il devrait mettre un peu d’eau dans son vin mais au fond de lui-même il détestait ce programme qui portait la patte de son ignoble prédécesseur (ce que l'on peut comprendre). Une fois au pouvoir il a donc tout fait pour laisser mourir Constellation. Il a révoqué l’ancien administrateur de la NASA Michael Griffin (le père de Constellation et son plus fervent supporter) et a laissé le poste vacant pendant 5 mois, avant d’élire l’astronaute Charles Bolden. En parallèle, il a nommé une commission (la commission Augustine) chargée d’évaluer le programme spatial américain et celle-ci a mis plus d’un an avant de rendre ses conclusions le 22 octobre dernier, beaucoup plus tard que prévu. Les conclusions étaient très sévères sur Constellation, mais elles furent critiquées par de nombreux experts techniques et politiques.


Pendant ce temps, le programme Constellation qui souffrait déjà de fortes coupes budgétaires sous Bush a été asphyxié. Obama n’a RIEN fait pour lui donner une chance ni pour essayer d’y intéresser le peuple américain. Il aurait été possible de scénariser ce retour sur la Lune et d'en faire une grande épopée médiatique. Lors des festivités du 21 juillet 2009 pour les 40 ans d’Apollo XI, Constellation a été le grand absent et Obama s’est gardé d’y faire la moindre déclaration. Constellation était dans sa tête déjà mort.


Obama, sous prétexte d’économies budgétaires mais surtout pour des arguments de communication en période pré-électorales a sacrifié Constellation. Car en annulant ce programme il n'économise "que 4 milliards" en 2011 alors que le Pentagone a un budget quasi intact de 750 milliards de dollars. Le lobby militaro-industriel avait donc bien compris qu'il fallait mieux laisser crever Constellation qui voilerait à lui seul l'inanité du budget militaire. Ils ne sont pas trompés car la plupart des commentateurs ont interprété ça comme un geste très fort d'Obama alors que ce n'est qu'une goutte d'eau dans l'abysse du déficit budgétaire 2011 (plus de 1300 milliards de dollars de "trou").


A la place de Constellation, Obama et la NASA nous proposent un « 21st Century Space Program » plus "adapté" et plus "punchy". Obama et Augustine reprochaient à Constellation de n’être pas assez original par Apollo (rappelons quand même que Constellation n'était pas sensé s'arrêter à la Lune mais devait aller beaucoup plus loin), en remplacement ils ne proposent rien de neuf. Pour l’instant il s’agit de prolonger la station spatiale internationale jusqu’en 2020, de faire appel à des sociétés privées pour développer de nouveaux moyens d'envoyer des astronautes dans l'Espace et de développer les missions robotisées pour l’exploration du système solaire. Pour de nombreux experts, cette décision met fin (temporairement) au programme d’exploration humaine de l’espace par les Américains. Obama, en tant que prix Nobel de la Paix, aurait dû imaginer en remplacement un programme international porteur de paix et d'espoir. Il ne l'a pas fait. Lorsque je vivais à Chicago de 1997 à 2000, j'avais remarqué cet homme charismatique qui régnait depuis 1996 sur le SouthSide de Chicago. A l'époque, de nombreux commentateurs le décrivaient déjà comme un homme politique majeur capable de prendre la Maison Blanche. Tout cela me paraissait déjà à l'époque très "fabriqué" (c'est vrai qu'il avait la "gueule" de l'emploi), aujourd'hui j'en suis persuadé.


Cette décision d'Obama est tellement absurde que l’on peut espérer que le prochain président rétablira cet élan, si ancré dans les gènes cosmiques de l'humanité, car il n’aura pas d’autre choix. En effet, les Américains vont découvrir avec stupeur dans quelques mois qu’il ne leur reste plus que quatre vols de la navette après celui qui part dans les prochains jours (pour l’instant prévus le 18 mars 2010, le 14 mai 2010, le 29 juillet 2010 et le 16 septembre 2010). Après cela ce sera FINI. Après trente ans de bons et loyaux services (je me rappelle encore de cette nuit d'avril 1981 ou de cet homme volant qui avait ouvert la cérémonie des JO de Los Angeles de 1984), la navette spatiale ne volera plus. Cette navette qui fait partie de l'inconscient collectif (et à laquelle plus personne ne prêtait d'attention depuis longtemps) laissera un grand vide mental. Et surtout les Américains n’auront plus aucun moyen d’envoyer des astronautes par eux-mêmes dans l’espace. Ils devront s’appuyer sur les Russes ou même pire… les Chinois ! A moins que les Européens profitent de la situation pour modifier l'ATV et le lanceur Ariane pour remplir cette mission. Malheureusement, à part dans le cercle très fermé des passionnés d’espace, tout le monde semble ignorer la fin de la navette spatiale. Sans compter que les Chinois ne vont pas arrêter leur programme lunaire pour autant et que les Américains ne supporteront pas de les voir voler seuls vers la Lune.



Or justement la capsule Orion du Programme Constellation devait prendre le relais dès cette année, mais les coupes budgétaires sous Bush (motivées par les budgets exorbitants du Pentagone) ont retardé le programme qui aurait pu être opérationnel dans quelques années. Aujourd’hui il n’y a donc plus aucune date officielle possible car il faudra que des sociétés commerciales (comme Blue Origin de Jeff Bezos le PDG d’Amazon ou SpaceX d’Elon Musk le fondateur de Paypal) développe ces technologies et cela sera long et probablement aussi coûteux. Je suis 100% pour le développement du space entrepreneurship, mais il faut que celui-ci s’inscrive dans une vision et non pas dans ce qui ressemble à un caprice anti-Bush.


Donc personnellement je ne dis pas adieu à Constellation, car ce n’est peut-être qu’un au revoir (peut-être même que le Congrès refusera de voter l'abandon de Constellation). Je vous quitte avec une magnifique vidéo réalisée par les employés de la NASA qui se sont acharnés ces 6 dernières années à donner vie à ce projet malgré l'indifférence générale.


mardi 19 janvier 2010

Chine – USA : vers une escalade nucléaire ?


Vous avez certainement entendu parler des déboires de Google en Chine. Google envisage de se retirer de Chine car les demandes de censure vont contre ses intérêts et sa popularité, mais aussi parce que de nombreux comptes Gmail appartenant à des dissidents chinois ont été l’objet de cyber-attaques d’une violence sans précédent. Un article du site Spyworld Actu (site dont je recommande une lecture assidue) nous apprend que cette opération baptisée Aurora utilisait une faille inconnue d’Internet Explorer (passez tous à Safari ou Firefox !) permettant à des programmes distants de prendre contrôle de votre ordinateur. Microsoft a émis une alerte, mais n’a pas (à ce jour) trouvé la parade. Ces attaques qui venaient de Chine ont touché aussi 34 entreprises américaines et auraient été vraisemblablement menées avec l’appui du gouvernement chinois.

Ces cyber-attaques interviennent dans un contexte géopolitique et militaire Chine-USA très tendu (c’est l’un des thèmes de mon roman Siècle bleu). Dans un communiqué en date du 12 janvier (China denounces U.S. arms sales to Taiwan), la Chine a vigoureusement déploré le feu vert donné le 6 janvier par les Etats-Unis à une vente de missiles Patriot III à Taiwan, seulement un mois après la visite de Barack Obama. Quelques jours plus tard, la Chine a montré les muscles en effectuant, avec succès, un test d’interception de missiles dans l’atmosphère (dit ground-based midcourse missile interception). Dans un communiqué du 13 janvier, la Chine a réaffirmé que ce test était purement défensif (China reaffirms its missile interception test defensive) et ne visait aucun pays. Mais évidemment, par ce test, la Chine a informé les Etats-Unis qu’elle disposait, elle aussi, d’un bouclier antimissile. Le bouclier américain étant bien sûr lui-même bâti pour se protéger d'éventuelles attaques chinoises, et non pas des fameux Etats voyous.



Dans la panoplie nucléaire stratégique, le bouclier antimissile sert à déjouer la capacité de première frappe de l’opposant (c’est-à-dire à contrer une attaque nucléaire). Ce système étant vulnérable (par exemple aux attaques de missiles à têtes multiples ou à leurres multiples), il est insuffisant pour accéder au stade de la suprématie nucléaire (quoiqu'en disent les Américains à leurs contribuables). Pour qu’il soit à peu près utile, il faut disposer en complément d’une bonne capacité de seconde frappe, c’est-à-dire de têtes nucléaires capables de menacer l’ennemi de destruction si celui-ci parvenait par miracle réussi à contourner le bouclier. C’est ce que l’on appelle dans le jargon la MAD (Mutual assured destruction). L’existence de la MAD, basée sur la vulnérabilité inhérente à chaque puissance nucléaire en cas de riposte de l’assailli, a permis l’émergence de l’équilibre de la dissuasion (qui a tant passionné les spécialistes de la théorie des jeux de la Rand Corportation) et a permis que le feu nucléaire n’embrase plus la planète depuis Nagasaki.


Dans l’article The Rise of U.S. Nuclear Primacy paru dans l’édition de mars/avril 2006 de Foreign Affairs (Foreign Affairs est l’organe de communication du puissant Council of Foreign Relations – le CFR), les auteurs annoncent la fin de la MAD et le retour de leur suprématie nucléaire (qui n’avait duré que quelques années avant que les Russes mettent au point leur propre bombe). Pour justifier leurs propos, les auteurs s’appuient sur le développement rapide de l‘arsenal américain (missile, moyens de projection et bouclier-antimissile), l’effondrement des ressources de l’Union Soviétique et le retard de la Chine sur les moyens de seconde frappe. Cet article avait fait coulé beaucoup d’encre et j’avais pu m’en entretenir avec Barthélémy Courmont (l’auteur avec Pascal Boniface du livre Le Monde nucléaire, paru chez Armand Colin en 2006) lors d’un cours que j'avais suivi à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques).


C’était pour le CFR mal connaître la réactivité des Chinois. La capacité de seconde frappe peut prendre deux formes : des silos de missiles prêts à être lancés ou des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) gavés d’ogives nucléaires. La deuxième option est beaucoup plus sûre car des silos de missiles peuvent être repérés et détruits pendant la « première frappe », alors que, s’ils sont bien conçus, les SNLE sont invisibles et donc virtuellement partout et nulle part à la fois, et donc en particulier potentiellement toujours près de vos côtes, à vous menacer.


Or les Chinois ont accompli des progrès spectaculaires sur ces deux vecteurs de seconde frappe. Tout d’abord, Le Figaro du 18 décembre 2009 (article reproduit ci-dessous) nous apprend que les Chinois auraient creusé une « grande muraille souterraine » de 5000 km pour protéger ses silos. Cachés dans cette construction pharaonique, impossible de les repérer donc de les détruire. A noter cependant que je n’ai pas réussi à vérifier l’information du Figaro (si un lecteur avait la référence, cela m’intéresserait). Les autres sites qui ont repris l’information, s’appuient tous sur un rapport de la Fondation Jamestown du 16 décembre. Ce rapport site une édition du 14 décembre de l’agence Xinhua (l’AFP chinoise) mais je n’en ai trouvé aucune trace (les Chinois l’ont peut-être effacée). Je n’en ai pas non plus trouvé de traces sur le site de propagande de l’armée chinoise (http://eng.mod.gov.cn). Ce site, lancé en grande pompe l’an dernier, est représentatif du changement (progressif) d’attitude de la Chine. Si les programmes de long terme restent toujours aussi secrets, les Chinois communiquent abondamment sur l’actualité de leur armée, et ce site dépasse de très loin par sa richesse et sa qualité celui du Pentagone. Les Chinois ont bien compris l’importance de la communication dans le monde moderne et sont également en train de vaincre les Etats-Unis avec leurs propres armes sur ce terrain (les responsables de la communication de l’Armée populaire de libération ont souvent fréquenté un MBA américain).


Sur les SNLE, les Chinois ont longtemps eu du retard. Cependant dans mon post Wenchang et Sanya, je vous avais révélé il y a un an l’existence d’une base militaire chinoise sous-marine dans laquelle ils dissimulaient leurs SNLE de dernière génération, les Jin, dont les services secrets américains n’ont pris connaissance qu’il y a quelques années. Ces sous-marins sont capables d’embarquer 12 missiles JL-2 qui ont une portée de 8000 km. Comme la base de Sanya ne peut pas être photographiée, les américains ignorent combien les Chinois disposent de Jin.


Dans ce contexte tendu entre la Chine et les Etats-Unis, on peut s’étonner du fait que les chercheurs du Bulletin of Atom Scientists (dont je partage d’habitude les opinions) ont retardé d’une minute leur « doomsday clock » le 14 janvier dernier, en pleine passe d’armes médiatiques autour de la question taiwanaise. Les chercheurs l’ont soi-disant fait parce qu’Obama va essayer de dénucléariser le monde et de régler la problématique du réchauffement climatique… On a bien vu la limite de ses pouvoirs à Copenhague.


Dans ce contexte on peut aussi s’inquiéter des facéties des agents du FBI qui ont utilisé la coiffure d’un député de gauche espagnol, Gaspar Llamazares, pour imaginer Oussama Ben Laden avec 12 ans de plus… Alors que les Chinois ont une armée de cyberguerriers, les Américains ont régressé au niveau du Petit Manuel du Détective que je relisais sans cesse dans mon enfance !


Les missiles nucléaires chinois à l'abri d'un tunnel secret

Arnaud de La Grange, à Pékin

Le Figaro, 18/12/2009


Pékin aurait construit depuis 1995 une «grande muraille souterraine» de 5.000 km pour protéger son arsenal.


Les dirigeants de la Chine communiste tiennent enfin leur Grande Muraille, invisible pour les yeux celle-là. La presse officielle chinoise vient en effet de rendre compte d'une incroyable nouvelle, tant par l'ampleur de l'ouvrage que par sa divulgation elle-même.

Selon le Journal de la Défense nationale, l'Armée populaire de libération (APL) aurait terminé le creusement d'un gigantesque tunnel de 5.000 kilomètres de long destiné à abriter ses missiles nucléaires. En Chine, rien n'est jamais petit, mais la longueur d'un tel ouvrage souterrain laisse pantois. D'autant qu'il est précisé que sa profondeur peut atteindre 1.000 mètres. Il se situerait dans les zones montagneuses du nord du pays.

Des dizaines de milliers de soldats auraient été mobilisés pour sa construction depuis 1995. À cette époque, les experts se rappellent qu'un article discret avait évoqué l'affectation de 10.000 soldats chinois à des travaux au profit de la «deuxième artillerie». Le vocable englobe la force nucléaire chinoise, mais aussi des missiles conventionnels. En 2008, un nouveau reportage de la télévision officielle chinoise CCTV avait de nouveau parlé de grands chantiers souterrains destinés à protéger les forces stratégiques chinoises contre une attaque nucléaire.

La presse chinoise estime que ce tunnel de tous les records serait destiné à garder une capacité de seconde frappe si le pays était victime d'une attaque nucléaire. La doctrine nucléaire chinoise a toujours été de «non-emploi en premier» avec un arsenal juste «suffisant» et destiné à l'autodéfense. Pékin s'engage aussi à ne pas l'utiliser ou menacer de l'utiliser contre les pays qui ne détiennent pas d'armes nucléaires.

Affirmation de puissance

Dans le budget chinois de la Défense à deux chiffres, des moyens financiers importants sont cependant mis à disposition de la «deuxième artillerie». Et la Chine a déjà construit plusieurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, même s'ils ne sont pas encore opérationnels, pour mener des patrouilles de dissuasion. Il semble ainsi que la marine ne maîtrise pas encore la difficile technique d'un tir de missile depuis une plate-forme sous-marine.

Un journal de Hongkong suggère que la révélation de cette cache d'armes géante est un signe de plus de la volonté d'affirmation de la puissance chinoise. L'article militaire évoque lui-même le concept osé de «grande muraille souterraine». Il est vrai que, sur le plan de la distance, on n'en est pas très loin, puisque le fameux ouvrage élevé pour protéger l'empire des invasions du Nord est long de 6.700 kilomètres (voire 8 800 selon de récentes découvertes). Le souterrain à missiles n'en fait que 5 000 mais, après tout, l'APL n'a peut-être pas fini de creuser.

mercredi 16 septembre 2009

Le rapport de la commission Augustine

La commission de Norman Augustine a rendu la semaine dernière ses conclusions préliminaires sur la pertinence du programme spatial américain. Ce rapport dresse un bon état des lieux de la problématique actuelle (impossibilité avec le budget alloué à la NASA de mener à bien le programme Constellation qui doit ramener les Américains sur la Lune et assurer le futur de la station spatiale internationale) extrêmement décevant dans le sens où il ne tranche pas et expose plusieurs scénarios qui n'ont rien à voir les uns avec les autres, qui trahissent l'existence de plusieurs voix qui n'ont pas réussi à s'accorder. Le plus décevant c'est qu'il conclue que le programme Constellation n'est pas la bonne option car il ne dispose pas des fonds nécessaires. Mais pourquoi ne pas les lui donner ?!
Hier, deux témoins ont été entendu par le Comité sur les Sciences et les Technologies du Sénat pour réagir à ce rapport. Curieusement, au lieu d'inviter l'administrateur de la NASA Charles Bolden comme prévu, le Comité a invité Michael Griffin, l'ex-administrateur de la NASA, père du programme Constellation et surtout fervent supporter de l'exploration humaine du système solaire (voir par exemple le post où je reprenais l'édito Lets reach for the stars again qu'il avait publié le jour des 40 ans d'Apollo en juillet dernier). La raison invoquée pour ce remplacement de dernière minute est que la Maison Blanche est toujours partagée sur la suite à donner au programme Constellation et ne souhaitait pas que Bolden s'exprime tout de suite. Le texte de l'intervention de Griffin est disponible sur le site de la commission Augustine et comme d'habitude avec Griffin, la clarté est au rendez-vous dans le style très direct qui le caractérise. Après avoir félicité la commission pour son travail, il la rejette violemment dans ses cordes en lui demandant de revoir le budget à la hausse et de le compenser par une baisse des contributions à l'ISS obtenue en étendant le partenariat ISS à d'autres nations (la Chine par exemple). Quand on lit le communiqué de presse publié ensuite hier par le Comité Sciences et Technologie, on se dit que Griffin a marqué des points et le Comité se dit extrêmement insatisfait du rapport Augustine.
Donc la bataille pour le retour sur la Lune n'est pas perdue (il y a quelques semaines j'étais plus pessimiste) et je croise les doigts pour que la voix des explorateurs prennent le dessus par rapport à celle des fonctionnaires. Pour celles et ceux que ce sujet intéresse, je vous conseille d'aller régulièrement sur le site de la commission Augustine (qui offre même un flux RSS et un channel Twitter) ou alors sur le blog Space Politics extrêmement bien fait. Le rapport final est attendu pour la fin du mois.
Bon alors, ils y retournent quand les Américains sur la Lune ? Qu'ils se dépêchent car les Chinois ne se posent pas toutes ses questions métaphysiques et seront les premiers à exploiter les champs d'hélium-3.

mercredi 29 juillet 2009

Let's Reach for The Stars Again

L'anniversaire des 40 ans d'Apollo a été l'occasion de nombreux hommages, très réussis pour la plupart. Néanmoins très peu de ces hommages se sont posés objectivement la question du présent et de l'avenir. Quand on observe ce que l'on a accompli il y a 40 ans, et que nous comparons avec là où nous sommes aujourd'hui, il y a des raisons d'être circonspect. La voix de la sagesse s'est élevée via Michael Griffin, l'ex-administrateur de la NASA, père du programme Constellation depuis 2004 et destitué depuis début 2009 par l'administration Obama. C'est le seul à avoir osé lever le ton. Pour que nos enfants continuent à être fièrs de l'aventure humaine, nous devons reprendre la conquête spatiale au plus vite. Voici le fameux article que Michael Griffin a publié sur le Washington Post le 19 juillet dernier.

Let's Reach for The Stars Again 
By Michael D. Griffin 

The Washington Post 
Sunday, July 19, 2009 

What is most striking about this 40th anniversary of the first human landing on the moon is that we can no longer do what we're celebrating. Not "do not choose to," but "can't." 
By the 40th anniversary of the Lewis and Clark expedition, the Oregon Trail was carrying settlers to the West. By the 40th anniversary of the completion of the transcontinental railroad, a web of rail traffic crisscrossed the continent. By the 40th anniversary of Lindbergh's epic transatlantic flight, thousands of people in jetliners retraced his route in comfort and safety every day. And on the 40th anniversary of Sputnik, hundreds of satellites were orbiting the Earth. 
Only in human spaceflight do we celebrate the anniversary of an achievement that seems more difficult to repeat than to accomplish the first time. Only in human spaceflight can we find in museums things that most of us in the space business wish we still had today. 
The United States spent eight years and $21 billion -- around $150 billion today -- to develop a transportation system to take people to the moon. We then spent less than four years and $4 billion using it, after which we threw it away. Not mothballed, or assigned to caretaker status for possible later use. Destroyed. Just as the Chinese, having explored the world in the early 15th century and found nothing better than what they had at home, burned their fleet of ships. 
We gave up the frontier of our time -- hardly typical American behavior. We see ourselves as people who, in all things, push past the boundaries that halt others. Abandoning the enterprise of space exploration is a striking decision because it violates something that makes us human: the desire to know new things through personal experience. Mankind is mankind in part because we voyage, and because we do it personally, not because we send machines in our stead. 
If that is true, why did we close the door to space? 
It is sometimes said that Apollo was cancelled because, after we landed on the moon, the public lost interest. But NASA's budget began its decline in 1966 -- three years prior to Apollo 11 -- a casualty of Vietnam-era financial pressures. And after the moon landing, long before any possible diminution of its popular appeal, President Nixon cancelled three planned space missions. The hardware for these missions had already been procured; you can find it in museums at NASA's Johnson, Kennedy and Marshall space centers. Voyaging to the moon was not undertaken in response to public opinion, and it was not abandoned because that opinion flagged. 
A more insightful view is that Apollo and the manned space program lacked any goal more compelling than that of besting the Soviet Union. When we won the race, the imperative for space exploration vanished. Had President Kennedy couched Apollo as the initial step in a larger strategy to become a permanently space-faring nation, the outcome might have been different. But with the quintessentially American ability to bring focus to a goal that was both impossibly audacious and ridiculously short-sighted, once we had beaten the Russians to the moon, there came . . . what? There was no answer. 
For 30 years after Apollo, NASA drifted. Not in a tactical sense; indeed, some of the best minds in the country devoted themselves to the development of the space shuttle and after that the international space station. But the agency lacked a guiding vision to unify its efforts. Where was the space shuttle going, what was it carrying, what would be done with that payload and why? In the simplest of terms, what was it all about? 
To fly regularly into space is the most difficult technical challenge we know. It is just barely possible, and even when done successfully, it is expensive, difficult and dangerous. To justify it requires an overarching vision. You either believe that expanding the range of human action and thereby creating options for the future is a noble endeavor, worthy of the cost and risk, or you do not. No lesser justification is acceptable, and no greater justification is needed. 
But for three decades that logic was missing from U.S. space policy, and in that absence NASA and the human spaceflight program were reduced to a year-by-year, piecewise justification of activities and budgets that cannot easily be defended in that fashion. Without a multi-decade strategy, the manned spaceflight program found its argument in the politics of jobs and national prestige and . . . no one really knew. 
Thirty years and six weeks after the last manned flight to the moon, the space shuttle Columbia was lost, and with it seven lives and many billions of dollars. In August 2003, Adm. Hal Gehman, chairman of the Columbia Accident Investigation Board, released an extraordinary report concluding that the root cause of the disaster was the fact that NASA had lacked a guiding vision for more than 30 years. Gehman said both the executive and legislative branches were to blame. 
The community involved in our nation's space program vowed that it would never happen again. A remarkably logical and well-crafted civilian space policy was put forth, one that respected existing commitments to complete the international space station while readying bold new ventures -- returning to the moon, establishing a sustained presence there and preparing for a voyage to Mars. 
In 2005, a Republican Congress approved this policy as the guiding strategy for NASA, and three years later a Democratic Congress did the same. President Obama's first budget request calls for lunar return by 2020. 
The words are great, but the actions aren't. In early 2005, about $110 billion was allocated to the task of returning American and international partner astronauts to the moon by 2020. Less than five years later, that figure has been slashed to about $70 billion, not enough to do the job. We're willing to spend hundreds of billions of dollars bailing out failed enterprises, but we're not willing to spend more than a half-penny of the federal budget dollar to support one of the greatest enterprises in history. 
In any era, extending humanity's reach is always the hardest thing a society does. We stretch ourselves, and what we learn yields broad benefits. Our solar system is the new frontier; its exploration and exploitation will benefit those who take the lead in pursuing it. 
What kind of people are we? That is the most important question we face. Are we explorers, pioneers and leaders, or will we sit back and watch others assume those roles? Are we to focus solely on immediate problems, allowing the future to happen to us, or do we want to create that future? 
If we no longer understand the importance of defining, occupying and extending the human frontier, we can be assured that others do. Russia is building a new lunar-capable manned spacecraft, China continues to pursue a methodical, carefully crafted human spaceflight program, and India is planning to join the club in 2015. We should wish them well. But we must be there too. No one can wrest leadership in space from the United States. But we can certainly cede it, and that is the path we are on. 
At this 40th anniversary of Apollo, we need to ask ourselves a simple question: Do we want to have a real space program, or do we just want to talk about what we used to be able to do? 

Michael.Griffin@UAH.edu 

Michael D. Griffin, a former NASA administrator, is a professor of mechanical and aerospace engineering at the University of Alabama at Huntsville. 

lundi 27 juillet 2009

Entretien avec le spationaute Jean-François Clervoy


Vendredi dernier, j'ai eu l’honneur de pouvoir m’entretenir une heure avec le spationaute Jean-François Clervoy. Le rendez-vous a eu lieu près des Halles, dans les bureaux de Novespace, la société dont il est le PDG et qui organise les vols paraboliques à bord de l’Airbus Zéro G. 


Jean-François Clervoy est allé trois fois dans l’espace à bord des missions de la navette STS-66 (1994), STS-84 (1997) et STS-103 (1999). Il a séjourné en tout 28 jours en orbite. Il est en train de finaliser la rédaction d’un livre sur sa troisième mission (sortie prévue à l’automne) qui visait à réparer le télescope spatial Hubble (NdR: cf. mon récent post sur la mission STS 125 de mai dernier qui devait également réparer Hubble). Pour effectuer ces maintenances, la navette s’était hissée jusqu’à une altitude record de 600 kilomètres (250 kilomètres de plus que la station spatiale internationale), ce qui fait de Jean-François Clervoy l’astronaute qui s’est éloigné le plus de la Terre, après ceux du programme Apollo. Il est également toujours l'un des 6 astronautes européens de l'ESA titularisés (Agence spatiale européenne). Je l’ai justement rencontré pour m’entretenir avec lui de la nature de son expérience en orbite et du rapport des astronautes avec la Terre, thèmes centraux de mon projet de roman Le Siècle bleu


Je lui ai donc tout d'abord parlé du livre "Clairs de Terre" (The Home Planet) qui a été le déclencheur de mon projet en 1996. Ce livre a été édité par l'association des explorateurs de l'espace qui rassemble plus de 320 astronautes de tous les pays du monde. Ils ont réunis leurs plus belles photos de la Terre et leurs plus beaux textes dans "Clairs de Terre". La profondeur et la poésie de ces textes m'avait frappé et poussé à enquêter davantage sur cette transformation subie par les astronautes, puis à la placer au coeur d'un roman. Voici ci-dessous quelques-uns d'entre eux.


Nous sommes partis découvrir la Lune et en fait nous avons découvert la Terre

Eugene Cernan – Etats-Unis

 

J’aurais souhaité, après mon retour, que les gens me demandent comment c’était là-haut, comment je m’étais associé) cette noire brillance du monde et quelle impression cela m’avait fait d’être comme une étoile tournant tout autour de la Terre.

Reinhard Furrer – République Fédérale d’Allemagne


Je regardais au-dehors la noirceur de l’espace, semée splendidement d’un univers de lumières. Je vis sa majesté, mais nulle bienveillance. C’est en dessous qu’il y avait une planète accueillante. Là-dessous, enclos dans la fine et mouvante coque de sa biosphère, si étonnamment fragile, il y a tout ce qui est cher à nos cœurs, tout le drame, toute la comédie humaine. C’est là qu’est la vie, là que sont toutes les bonnes choses de la vie.

Loren Acton – Etats-Unis.


Je crois que même les plus savants des philosophes de la Renaissance et les plus audacieux esprits du passé n’auraient jamais pu estimer la taille réelle de notre planète. Longtemps, elle vait paru immense, presque infinie. C’est seulement à partir du milieu de notre siècle que l’homme s’étant rendu dans l’espace au-dessus de la Terre, a pu se rendre compte avec surprise et incrédulité combien la Terre est en fait petite. D’aucuns ont vu en elle une île flottant dans l’infini de la création ; d’autres l’ont comparée à un vaisseau spatial peuplé d’un équipage de plus de six milliards d’hommes.

Pavel Popovitch – Union Soviétique.


Je voyais la Terre depuis l’espace, si belle depuis qu’avaient disparu les cicatrices des frontières nationales.

Mohammed Ahmed Faris – Syrie.


Les limites de mon imagination ont reculé lorsque j’ai pu contempler la Terre qui se détachait au sein d’un néant sombre et peu engageant. Les riches traditions de mon pays m’ont préparé à surmonter les préjugés et les frontières nationales. Il n’est pas nécessaire d’entreprendre un vol spatial pour parvenir à un tel sentiment.

Rakesh Sharma – Inde. 


Les premiers jours, nous montrions nos propres pays. Au troisième et au quatrième jour, notre continent. Dès le cinquième jour, nous fîmes plus attention qu’à la seule Terre.

Sultant be Salman al-Saoud – Arabie Saoudite.


La Terre nous faisait penser à une décoration d’arbre de Noël se détachant sur le fond noir de l’espace. Plus nous nous éloignions et plus sa taille diminuait. Finalement, elle se trouva réduite à la taille d’une bille de verre, la plus belle bille qui se puisse imaginer. Ce bel objet chaud et vivant était si délicat, si fragile que si on l’avait effleuré du doigt il se serait brisé et répandu en miettes. Quand un homme voit cela, il ne peut qu’être transformé, il ne peut que mesurer ce qu’est la création et l’amour de Dieu.

James Irvin – Etats-Unis.

Jean-François Clervoy connaissait bien ce livre (puisqu'il était évidemment membre de l'association des explorateurs de l'espace) et confirme que l’expérience et les émotions en orbite sont très fortes, mais que beaucoup d’astronautes ne communiquent pas dessus. Ce blocage est conscient pour certains (car cette expérience relève du privé) et inconscient pour d’autres (certains n’ont toujours pas réalisé qu’ils étaient allé dans l’espace). Il pense que les astronautes ne changent pas après un vol spatial, ils renforcent juste des choses et des valeurs qu’ils avaient déjà en eux. Ceci explique selon lui pourquoi certains astronautes n’ont rien ressenti : ils sont allés dans l’espace, y ont effectué leurs tâches, comme ils l’auraient fait n’importe quel autre job, puis sont rentrés chez eux. 


En effet, il ne faut pas oublier que la mission première de l’astronaute est avant tout d’effectuer les tâches pour lesquelles il s’est préparé pendant de longues années. Jean-François Clervoy indique d’ailleurs que cette préparation technique était parfaite et que finalement il n’y a quasiment pas eu de surprises en vol. Tout s’est déroulé comme cela a été planifié (ou selon des scénarios d’incidents qu’ils avaient envisagés). Les simulations avaient joué merveilleusement leur rôle. Comparé aux astronautes qui sont restés pendant plusieurs mois à bord de l’ISS ou de Mir qui ont davantage le temps pour la contemplation et la réflexion, Jean-François Clervoy a lui toujours volé dans des missions de courte durée où chaque minute doit être maximisée. Tout cela ne laisse donc ni la place ni le temps aux émotions. 


Pour sa part, il a quand même essayé de vivre pleinement cette expérience et a su garder quelques moments privilégiés pour lui. Il a souvent eu les larmes aux yeux à bord, en réalisant la chance qu’il avait de faire partie de ce groupe de pionniers et d’être Là-haut. Il rappelle s’être pincé pour réaliser la chose qu’il vivait. Il a une mémoire encore très précise de ces instants, mémoire sensorielle que l’on pourrait même qualifier de synesthésique, tant elle mêle la vision, l’odorat et le toucher… Il a essayé de la vivre par « tous les pores », selon ses mots.


Pour préparer ses missions sur ce plan personnel, Jean-François a beaucoup échangé avec son ami Story Musgrave, qui est notamment venu le voir pendant les périodes de quarantaine précédant les vols. Pilote (18 000 heures de vol sur plus de 160 appareils), chirurgien, chimiste, mathématicien, informaticien, biophysicien, physiologiste, mais aussi diplômé de littérature, Musgrave est l’un des astronautes les plus complets de la NASA (regardez son CV sur Wikipedia ou sur son site, c’est impressionnant) mais aussi l’un des plus iconoclastes. Dans le cadre de mes recherches, Jean-François Clervoy m’a d’ailleurs recommandé de creuser le personnage de Story Musgrave qui est pour lui l’astronaute qui a eu l’expérience la plus forte et qui a su le mieux la partager. Il m’a en particulier orienté vers le film-documentaire « Story » de Dana Ranga consacré à cet astronaute (elle voulait  faire un film sur les astronautes en général et a tellement été impressionnée par Musgrave qu’elle s’est focalisée sur lui). Je me suis empressé de le commander (disponible via ce site).


Nous avons ensuite parlé de l’expérience très particulière des sorties extravéhiculaires (EVA). Jean-François Clervoy n’en a pas effectué lui-même, mais en a accompagné de près puisque c’est lui qui pilotait le bras articulé sur lequel s’appuyaient les astronautes pour réparer Hubble. Cette expérience de liberté presque totale est provoquée selon lui par :

  • La grande flexibilité de la combinaison spatiale américaine qui permet une grande aisance de mouvements ;
  • Le champ de vision très large qu’offre le heaume de la combinaison (le bord n’est même pas visible, ce qui donne l’impression à l’astronaute de véritablement être à l’extérieur) ;
  • La symbolique presque « natale » de la sortie du sas où l’astronaute n’est plus relié au vaisseau mère que par un filin de sécurité ;
  • L’autonomie totale du scaphandre qui donne l’impression à l’astronaute d’être un vaisseau spatial lui-même.
J’ai demandé à Jean-François Clervoy s’il avait observé des phénomènes inexpliqués. En ce qui le concerne, il a eu des réponses à toutes les choses bizarres qu’il avait observées, comme par exemple ce flash très fort qui sortait de nulle part mais qui était en fait provoqué par le passage d’un proton (provenant d’un rayon cosmique) dans sa rétine, ou ces milliers de cristaux scintillants à l’extérieur du vaisseau libérés par le délestage de l’eau excédentaire dans la pile à combustibles (cristaux qu’avait aussi vus John Glenn, premier Américain dans l’espace).


La prise de conscience écologique induite par la vision de la Terre depuis l’espace fait partie intégrante de l’expérience spatiale selon Jean-François Clervoy. De là-haut on perçoit la fragilité de la vie sur Terre (l’atmosphère est tellement fine qu’elle est à peine visible) mais pas de la Terre elle-même qui paraît très solide sur le plan géologique. Jean-François Clervoy est engagé dans la protection de la planète, il est d’ailleurs parrain du parc EANA en Normandie et de l’association Te Mana O Te Moana en Polynésie.


Outre la beauté de la Terre, c’est le contraste avec le noir profond du ciel qui frappe. Les étoiles sont partout autour, mais elles sont invisibles. La lumière combinée de la Terre, du Soleil et de la Lune sont en effet trop fortes. Jean-François Clervoy indique que pour les voir, il faut attendre que la navette passe dans l’ombre du Soleil (ce qui arrive 16 fois par jour) et que la Lune ne l’éclaire pas trop. Il faut également éteindre toutes les lumières à l’intérieur de la navette. Alors, au bout de 15 minutes, la rétine s’habitue. C’est un rituel qu’il a pratiqué au moins une fois par mission. Des myriades d’étoiles apparaissent alors (mais pas plus que depuis une haute montagne, loin des halos lumineux urbains). Elles sont surtout d’une netteté absolue car elles ne scintillent plus. Leurs couleurs originelles sont également visibles. La Voie lactée apparaît de façon superbe, large comme un boulevard. Lors de sa dernière mission, le retour de la navette sur Terre a été décalé à cause des mauvaises conditions météorologiques. Jean-François Clervoy se rappelle alors avoir reçu une mémorable leçon d’astronomie par les membres de son équipage, dont trois étaient diplômés d’astrophysique. 


Son rêve serait de séjourner suffisamment longtemps en orbite pour connaître la Terre par cœur, comme son père pilote de chasse qui connaissait les moindres villages et reliefs  de France et n’avait pas besoin de cartes par grand beau temps. Certains astronautes, russes notamment, connaissent l’ensemble des chaînes montagneuses, des lacs, des estuaires, des fleuves, des volcans et des villes de la Terre (ci-dessus, une photo du Lac Nasser).


Malheureusement ce rêve risque de ne pas pouvoir se réaliser. En retour de leur contribution à l’ISS, dans le dernier partenariat avec les Américains en vigueur, il n’y avait que 5 places (dont 2 ont été déjà utilisés) pour des Européens à bord de la navette américaine, et c’est tout. En effet, il ne reste plus que 7 vols de la navette d’ici fin 2010 et après elle prendra définitivement sa retraite. Le Français Léopold Eyharts étant parti en février 2008, il est peu probable qu’un autre Français fasse partie des 3 derniers (il y aura très certainement un Allemand et un Italien, gros contributeurs à l'ISS, et sûrement le hollandais André Kuipers). Il faudra alors attendre que le véhicule Orion du programme américain Constellation soit opérationnel (mais ça ne sera pas avant plusieurs années) ou que les Européens signent un accord de coopération avec les Russes, pour qu’un Français reprenne la route des étoiles. Cela change drastiquement avec les années 90 pendant lesquelles un Français a volé chaque année…


Plus globalement, il souligne l’absence de programmes spatiaux militaires ou civils majeurs dans les prochaines années. Le module Columbus, le ravitailleur ATV (auquel Jean-François Clervoy a contribué), la fusée Ariane 5 ECA et le missile M-51 sont maintenant achevés. Il craint que l’absence de grands programmes provoque une désaffection encore plus grande des jeunes pour des carrières touchant au spatial ou plus généralement à la Science et aux Technologies. 


Malgré les rumeurs qui entourent le travail de la Commission Augustine (qui analyse jusqu’à la fin de l’année pour l’administration Obama le programme Constellation lancé par Bush en janvier 2004) Jean-François Clervoy pense que ce programme continuera. Obama sait bien quel a été l’impact du programme Apollo sur le nombre de PhDs aux Etats-Unis dans les disciplines scientifiques et sur l’essor économique que cela a permis ensuite. Les Etats-Unis essaieront seulement de rendre Constellation moins onéreux. Selon lui, il paraît totalement improbable que les Etats-Unis annoncent un retour sur Mars sans passer par la case Lune. Ce serait en effet un challenge bien plus audacieux que le programme Apollo, et il ne voit pas la NASA réaliser un tel défi surtout avec les exigences de sécurité qui pèsent sur les vols habités. 


Les Européens veulent participer à ce retour sur la Lune dans le cadre de l’International Space Exploration Coordination Group (ISECG). Ils contribueront peut-être à la conception de l’habitat des futures bases lunaires ou du vaisseau de ravitaillement qui fera la navette entre l’orbite et le sol lunaire. Cette contribution devrait permettre d’envoyer un Européen tous les 5 ans sur la Lune. En ce qui concerne les Chinois, il espère qu’ils rejoindront l’ISS avant la fin du programme. En ce qui concerne leurs ambitions lunaires, elles sont bien connues et ils suivent scrupuleusement un plan établi, il y a une vingtaine d’années. Pour l’hélium 3, l’Europe doit investir (mais modérément) de façon à ne pas prendre de retard si jamais les recherches sur la fusion en confirmaient l'intérêt.


Enfin, en ce qui concerne les vols spatiaux privés, Jean-François Clervoy croît à l’essor des vols suborbitaux (proposés à 200 000 $ par Virgin Galactic pour des vols à 100 kilomètres d’altitude) qui offriront toutes les caractéristiques du vol spatial : boost au décollage, ciel noir en plein jour, vision de la Terre (avec un champ de vision 10 fois supérieur à celui connu dans l’aviation civile) et apesanteur. Le programme européen d'avion spatial de tourisme annoncé par EADS Astrium en juin 2007 est pour l'instant suspendu en raison de la crise financière.


Jean-François Clervoy indique que le développement des vols orbitaux privés à coûts abordables sera  beaucoup plus difficile. L'explication est simple : l’énergie consommée (et donc le coût) est proportionnelle grosso modo au carré de la vitesse. Pour un vol suborbital à 100 kilomètres, il faut atteindre Mach 2.7. Or, pour atteindre une orbite basse de 400 kilomètres il faut voler à Mach 25, soit 100 fois plus d’énergie. On retrouve par ce simple calcul le chiffre de 20 millions de dollars demandé par les Russes pour emmener un touriste spatial vers l’ISS (NdR : le prochain en date sera Guy Laliberté, le patron du Cirque du Soleil, dont je vous avais parlé lors d'un précédent post).  


Un astronaute fait le tour de la Terre en un peu plus d’une heure. Pendant le même temps, nous avons effectué avec Jean-François Clervoy un tour d’horizon très vaste, qui m’a donné de la hauteur et de la perspective ! Merci pour son temps et ses explications, en m’excusant auprès de lui pour les coquilles qui auraient pu se glisser dans ce compte-rendu.