jeudi 29 janvier 2009

Michael Crichton, CO2 et LHC


Le 23 février prochain, la NASA lancera son premier satellite d'observation destiné à mesurer le CO2 à la surface de la Terre. Le Orbiting Carbon Observatory (OCO) permettra enfin d'identifier où sont les principales sources de CO2, mais surtout les principaux "puits". Aujourd'hui, ce qui est clair c'est que la concentration de CO2 dans l'atmosphère est passée de 280 ppm avant l'ère industrielle à 335 ppm, et que sur la quantité émise, 40% seulement se trouve dans l'atmosphère. Sur les 60% restants, la moitié devrait se trouver dans les océans (participant malheureusement à l'acidification des océans et au processus dramatique de blanchiment des coraux dont nous reparlerons sur ce blog) mais la localisation des autres 30% séquestrés reste mal connue. 
Il ne peut pas y avoir de politique efficace de lutte contre le réchauffement climatique tant que l'on ne saura pas précisément quels écosystèmes jouent un rôle positif ou négatif, et dans quelle proportion. Le rôle précis des forêts, des toundras, des océans, des terres agricoles ou des récifs coralliens dans la chaîne du carbone seront certainement mieux compris très bientôt grâce à OCO.
Comme Al Gore et comme tout le monde, je suis un fervent partisan des réductions d'émissions de CO2 (ça a même été mon travail pendant un moment). Mais compte tenu des montants en jeu, il ne faut pas faire n'importe quoi et ne pas investir dans des économies inutiles et sans effets pour la planète. Pour cela, le réchauffement climatique doit rester un sujet "scientifique", dont on doit pouvoir débattre ouvertement et sans tabou. Et notamment du lien très complexe entre taux de CO2 et réchauffement. Aujourd'hui, il est très dur d'émettre des réserves sur le processus de réchauffement (même les plus infimes recommandations de bon sens) sans être taxé d'"agents" des multinationales pétrolières (et c'est vrai que ces agents désinformateurs existent), alors qu'il s'agit d'un des phénomènes physiques les plus complexes. Il faut absolument qu'un débat sain et serein puisse continuer à avoir lieu pour choisir la politique la plus efficace. Dans tous les domaines, c'est le cas, alors pourquoi pas dans l'environnement ? 

C'était le sens de la mise en garde de Michael Crichton dans son roman Etat d'Urgence (paru en 2004 aux Etats-Unis) qui a défrayé la chronique. En effet, les propos de l'auteur ont été mal compris et on lui a tout de suite reproché d'être à la solde d'Exxon. Michael Crichton, dans un roman certes provocant mais qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre, indiquait seulement qu'il fallait que l'environnement puisse rester un sujet scientifique avec des controverses et non un amas de compromis scellés pour l'éternité. Depuis Popper, on sait que ce qui caractérise la Science, c'est sa Falsifiabilité, donc la possibilité de pouvoir essayer de démontrer l'inexactitude de ses affirmations. Relisez Crichton et surtout son message aux lecteurs à la fin dans lequel il s'explique. Crichton était un environnementaliste convaincu, mais scientifique dans l'âme et donc il ne pouvait pas supporter l'attitude fanatique de certains et les dérives qui en découlent. Même s'il a tort dans certains faits qu'il a énoncés, on ne peut pas lui reprocher de lutter contre le fanatisme. Crichton aurait donc été ravi de l'envoi de la nouvelle mission de la NASA qui participe à une meilleure connaissance des processus de la chaîne du CO2, et donc à une amélioration du débat scientifique. 
Je dis bien "aurait été" car Michael Crichton nous a quitté le 4 novembre 2008, emporté par un cancer, la veille de la victoire d'Obama... A l'âge de 66 ans, il laisse une oeuvre gigantesque. Evidemment Jurassic Park, mais aussi la série Urgences (bon d'accord cette série n'aura pas fait avancer l'Humanité). Ces 3 derniers livres étaient bien au-dessus des autres :
  • Prey (La proie) en 2002 qui mettait en scène les dérives liées à l'utilisation combinée  des nanotechnologies, de la robotique et de l'intelligence artificielle. Ce livre était une extrapolation de l'article extraordinaire "Why the future doesn't need us" de Bill Joy (directeur scientifique de Sun Microsystems et proche d'Obama) paru dans Wired en avril 2000, dont je recommande la lecture à tout le monde. On en reparlera aussi sur ce blog.
  • State of Fear (Etat d'Urgence) en 2004, dont nous avons parlé plus haut, qui dénonce le totalitarisme écologique. C'est un livre qui fait réfléchir, à prendre avec des pincettes. Malheureusement la qualité de l'intrigue laisse à désirer et en fait finalement un médiocre éco-thriller. Son livre le plus polémique, mais pas le meilleur.
  • NEXT en 2006, un roman vraiment renversant qui nous alerte sur le danger inouï des brevets sur les gènes et de leur commerce. Tous les faits sont tirés d'histoires vraies, qui se déroulent aujourd'hui et on l'ignore presque complètement (au moins en France). Un monument de mise en garde.
Pendant 40 ans et jusqu'au bout, ce chirurgien diplômé de Harvard a écrit. Il était déjà très riche (150 millions de livres vendus et des dizaines d'adaptations cinématographiques) et il écrivait uniquement pour son plaisir et celui de ses lecteurs (ce qui est une preuve de plus que State of Fear n'a pas été écrit pour Exxon dont il n'avait rien à faire). Il était le précurseur d'un genre qualifié d'edu-tainment (education + enternainment) et il nous manquera beaucoup. La qualité de son anticipation était rare, et malheureusement il y a peu d'autres auteurs du même niveau dans ce genre. Il a passé son temps à nous alerter sur les dangers de la technologie et sur les solutions à mettre en oeuvre pour les éviter. C'était un scientifique éclairé.
Pour ceux qui aimaient Michael Crichton, sachez qu'il avait presque terminé un nouveau livre qui devrait sortir à titre posthume en mai 2009 aux Etats-Unis. Le titre sera probablement "Final day of happiness". Il y raconte l'histoire d'un groupe de scientifiques qui conçoit un nouvel accélérateur de particules, surpuissant. L'accélérateur s'emballe et produit alors un trou noir artificiel qui menace l'Humanité. On pourrait se croire dans une mauvaise série Z, mais c'est exactement ce que certaines voix redoutaient lors de la mise en service du plus grand accélérateur de tous les temps, le Large Hadron Collider du CERN (Crichton était toujours extrêmement bien documenté) en septembre dernier. Il ne s'est heureusement rien passé de tel, mais la raison principale est que le LHC a été endommagé après seulement quelques jours de tests à faible charge... (la presse a peu parlé de ces problèmes). Le LHC doit redémarrer à l'été 2009 et un article ("Probing the improbable") publié la semaine dernière par l'Institut sur le Futur de l'Humanité de l'Université d'Oxford revient sur les risques, maigres mais théoriquement significatifs, d'un tel événement...
En tout cas, une grande révérence pour Michael Crichton, génie de l'anticipation. En espérant tout de même qu'aucune de ses dernières prophéties ne se réalisent... Bon voyage stellaire Michael !
PS : si certains veulent échanger sur Etat d'Urgence, j'y suis tout à fait disposé, mais à la condition que vous ayez lu le livre (et non pas ce que l'on en dit sur Internet) !

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