Vous avez certainement entendu parler des déboires de Google en Chine. Google envisage de se retirer de Chine car les demandes de censure vont contre ses intérêts et sa popularité, mais aussi parce que de nombreux comptes Gmail appartenant à des dissidents chinois ont été l’objet de cyber-attaques d’une violence sans précédent. Un article du site Spyworld Actu (site dont je recommande une lecture assidue) nous apprend que cette opération baptisée Aurora utilisait une faille inconnue d’Internet Explorer (passez tous à Safari ou Firefox !) permettant à des programmes distants de prendre contrôle de votre ordinateur. Microsoft a émis une alerte, mais n’a pas (à ce jour) trouvé la parade. Ces attaques qui venaient de Chine ont touché aussi 34 entreprises américaines et auraient été vraisemblablement menées avec l’appui du gouvernement chinois.
Ces cyber-attaques interviennent dans un contexte géopolitique et militaire Chine-USA très tendu (c’est l’un des thèmes de mon roman Siècle bleu). Dans un communiqué en date du 12 janvier (China denounces U.S. arms sales to Taiwan), la Chine a vigoureusement déploré le feu vert donné le 6 janvier par les Etats-Unis à une vente de missiles Patriot III à Taiwan, seulement un mois après la visite de Barack Obama. Quelques jours plus tard, la Chine a montré les muscles en effectuant, avec succès, un test d’interception de missiles dans l’atmosphère (dit ground-based midcourse missile interception). Dans un communiqué du 13 janvier, la Chine a réaffirmé que ce test était purement défensif (China reaffirms its missile interception test defensive) et ne visait aucun pays. Mais évidemment, par ce test, la Chine a informé les Etats-Unis qu’elle disposait, elle aussi, d’un bouclier antimissile. Le bouclier américain étant bien sûr lui-même bâti pour se protéger d'éventuelles attaques chinoises, et non pas des fameux Etats voyous.
Dans la panoplie nucléaire stratégique, le bouclier antimissile sert à déjouer la capacité de première frappe de l’opposant (c’est-à-dire à contrer une attaque nucléaire). Ce système étant vulnérable (par exemple aux attaques de missiles à têtes multiples ou à leurres multiples), il est insuffisant pour accéder au stade de la suprématie nucléaire (quoiqu'en disent les Américains à leurs contribuables). Pour qu’il soit à peu près utile, il faut disposer en complément d’une bonne capacité de seconde frappe, c’est-à-dire de têtes nucléaires capables de menacer l’ennemi de destruction si celui-ci parvenait par miracle réussi à contourner le bouclier. C’est ce que l’on appelle dans le jargon la MAD (Mutual assured destruction). L’existence de la MAD, basée sur la vulnérabilité inhérente à chaque puissance nucléaire en cas de riposte de l’assailli, a permis l’émergence de l’équilibre de la dissuasion (qui a tant passionné les spécialistes de la théorie des jeux de la Rand Corportation) et a permis que le feu nucléaire n’embrase plus la planète depuis Nagasaki.
Dans l’article The Rise of U.S. Nuclear Primacy paru dans l’édition de mars/avril 2006 de Foreign Affairs (Foreign Affairs est l’organe de communication du puissant Council of Foreign Relations – le CFR), les auteurs annoncent la fin de la MAD et le retour de leur suprématie nucléaire (qui n’avait duré que quelques années avant que les Russes mettent au point leur propre bombe). Pour justifier leurs propos, les auteurs s’appuient sur le développement rapide de l‘arsenal américain (missile, moyens de projection et bouclier-antimissile), l’effondrement des ressources de l’Union Soviétique et le retard de la Chine sur les moyens de seconde frappe. Cet article avait fait coulé beaucoup d’encre et j’avais pu m’en entretenir avec Barthélémy Courmont (l’auteur avec Pascal Boniface du livre Le Monde nucléaire, paru chez Armand Colin en 2006) lors d’un cours que j'avais suivi à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques).
C’était pour le CFR mal connaître la réactivité des Chinois. La capacité de seconde frappe peut prendre deux formes : des silos de missiles prêts à être lancés ou des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) gavés d’ogives nucléaires. La deuxième option est beaucoup plus sûre car des silos de missiles peuvent être repérés et détruits pendant la « première frappe », alors que, s’ils sont bien conçus, les SNLE sont invisibles et donc virtuellement partout et nulle part à la fois, et donc en particulier potentiellement toujours près de vos côtes, à vous menacer.
Or les Chinois ont accompli des progrès spectaculaires sur ces deux vecteurs de seconde frappe. Tout d’abord, Le Figaro du 18 décembre 2009 (article reproduit ci-dessous) nous apprend que les Chinois auraient creusé une « grande muraille souterraine » de 5000 km pour protéger ses silos. Cachés dans cette construction pharaonique, impossible de les repérer donc de les détruire. A noter cependant que je n’ai pas réussi à vérifier l’information du Figaro (si un lecteur avait la référence, cela m’intéresserait). Les autres sites qui ont repris l’information, s’appuient tous sur un rapport de la Fondation Jamestown du 16 décembre. Ce rapport site une édition du 14 décembre de l’agence Xinhua (l’AFP chinoise) mais je n’en ai trouvé aucune trace (les Chinois l’ont peut-être effacée). Je n’en ai pas non plus trouvé de traces sur le site de propagande de l’armée chinoise (http://eng.mod.gov.cn). Ce site, lancé en grande pompe l’an dernier, est représentatif du changement (progressif) d’attitude de la Chine. Si les programmes de long terme restent toujours aussi secrets, les Chinois communiquent abondamment sur l’actualité de leur armée, et ce site dépasse de très loin par sa richesse et sa qualité celui du Pentagone. Les Chinois ont bien compris l’importance de la communication dans le monde moderne et sont également en train de vaincre les Etats-Unis avec leurs propres armes sur ce terrain (les responsables de la communication de l’Armée populaire de libération ont souvent fréquenté un MBA américain).
Sur les SNLE, les Chinois ont longtemps eu du retard. Cependant dans mon post Wenchang et Sanya, je vous avais révélé il y a un an l’existence d’une base militaire chinoise sous-marine dans laquelle ils dissimulaient leurs SNLE de dernière génération, les Jin, dont les services secrets américains n’ont pris connaissance qu’il y a quelques années. Ces sous-marins sont capables d’embarquer 12 missiles JL-2 qui ont une portée de 8000 km. Comme la base de Sanya ne peut pas être photographiée, les américains ignorent combien les Chinois disposent de Jin.
Dans ce contexte tendu entre la Chine et les Etats-Unis, on peut s’étonner du fait que les chercheurs du Bulletin of Atom Scientists (dont je partage d’habitude les opinions) ont retardé d’une minute leur « doomsday clock » le 14 janvier dernier, en pleine passe d’armes médiatiques autour de la question taiwanaise. Les chercheurs l’ont soi-disant fait parce qu’Obama va essayer de dénucléariser le monde et de régler la problématique du réchauffement climatique… On a bien vu la limite de ses pouvoirs à Copenhague.
Dans ce contexte on peut aussi s’inquiéter des facéties des agents du FBI qui ont utilisé la coiffure d’un député de gauche espagnol, Gaspar Llamazares, pour imaginer Oussama Ben Laden avec 12 ans de plus… Alors que les Chinois ont une armée de cyberguerriers, les Américains ont régressé au niveau du Petit Manuel du Détective que je relisais sans cesse dans mon enfance !
Les missiles nucléaires chinois à l'abri d'un tunnel secret
Arnaud de La Grange, à Pékin
Le Figaro, 18/12/2009
Pékin aurait construit depuis 1995 une «grande muraille souterraine» de 5.000 km pour protéger son arsenal.
Les dirigeants de la Chine communiste tiennent enfin leur Grande Muraille, invisible pour les yeux celle-là. La presse officielle chinoise vient en effet de rendre compte d'une incroyable nouvelle, tant par l'ampleur de l'ouvrage que par sa divulgation elle-même.
Selon le Journal de la Défense nationale, l'Armée populaire de libération (APL) aurait terminé le creusement d'un gigantesque tunnel de 5.000 kilomètres de long destiné à abriter ses missiles nucléaires. En Chine, rien n'est jamais petit, mais la longueur d'un tel ouvrage souterrain laisse pantois. D'autant qu'il est précisé que sa profondeur peut atteindre 1.000 mètres. Il se situerait dans les zones montagneuses du nord du pays.
Des dizaines de milliers de soldats auraient été mobilisés pour sa construction depuis 1995. À cette époque, les experts se rappellent qu'un article discret avait évoqué l'affectation de 10.000 soldats chinois à des travaux au profit de la «deuxième artillerie». Le vocable englobe la force nucléaire chinoise, mais aussi des missiles conventionnels. En 2008, un nouveau reportage de la télévision officielle chinoise CCTV avait de nouveau parlé de grands chantiers souterrains destinés à protéger les forces stratégiques chinoises contre une attaque nucléaire.
La presse chinoise estime que ce tunnel de tous les records serait destiné à garder une capacité de seconde frappe si le pays était victime d'une attaque nucléaire. La doctrine nucléaire chinoise a toujours été de «non-emploi en premier» avec un arsenal juste «suffisant» et destiné à l'autodéfense. Pékin s'engage aussi à ne pas l'utiliser ou menacer de l'utiliser contre les pays qui ne détiennent pas d'armes nucléaires.
Affirmation de puissance
Dans le budget chinois de la Défense à deux chiffres, des moyens financiers importants sont cependant mis à disposition de la «deuxième artillerie». Et la Chine a déjà construit plusieurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, même s'ils ne sont pas encore opérationnels, pour mener des patrouilles de dissuasion. Il semble ainsi que la marine ne maîtrise pas encore la difficile technique d'un tir de missile depuis une plate-forme sous-marine.
Un journal de Hongkong suggère que la révélation de cette cache d'armes géante est un signe de plus de la volonté d'affirmation de la puissance chinoise. L'article militaire évoque lui-même le concept osé de «grande muraille souterraine». Il est vrai que, sur le plan de la distance, on n'en est pas très loin, puisque le fameux ouvrage élevé pour protéger l'empire des invasions du Nord est long de 6.700 kilomètres (voire 8 800 selon de récentes découvertes). Le souterrain à missiles n'en fait que 5 000 mais, après tout, l'APL n'a peut-être pas fini de creuser.